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Simple
instituteur, Karl Wilhelm Theodor Weierstrass poursuit des études à Münster
où Gudermann
sera son professeur. Il enseigna les mathématiques
et la physique dans différents lycées et, encouragé par son
ancien professeur, ses premiers travaux sur les fonctions
abéliennes (dès 1854) répondant à des problèmes ouverts posés par
Abel lui-même et Jacobi furent
appréciés par Crelle et
Liouville qui les publia, lui ouvrant les portes de l'enseignement
supérieur.
Il fut nommé à Breslau l'année suivante en remplacement de Kummer et élu à l'Académie des sciences de Berlin en 1856. Son brillant traité sur les intégrales elliptiques (Réflexions sur l'intégration des équations différentielles hyperelliptiques) le mènent à une chaire de mathématiques à l'université de Berlin en 1864. Il en fut le recteur en 1873.
De santé précaire à l'époque de sa nomination à Berlin, Weierstrass confiera souvent à ses étudiants le soin d'exposer ses cours et une grande partie de ses résultats ne furent publiés qu'ultérieurement, par Hurwitz notamment. On le considère généralement comme un des plus grands mathématiciens du 19è siècle.
Consolidant avec rigueur les résultats de Cauchy relatifs à l'analyse numérique, les travaux de Weierstrass préciseront aussi le statut des nombres irrationnels, notion encore vague depuis la découverte de ces derniers par les Pythagoriciens (disciples de Pythagore). Il mettra un point final à la difficile étude des fonctions et intégrales elliptiques dont Abel fut à l'origine. Son Traité sur la théorie des fonctions (Abhandlungen aus der Funktionenlehre, 1886) couronne l'ensemble de son œuvre. Deux ans avant sa mort, il reçut la médaille Copley de la Royal Society pour l'ensemble de ses travaux, prix en principe octroyé aux physiciens et biologistes.
i Les lecteurs intéressés et plus particulièrement germanophones peuvent consulter quelques ouvrages de Weierstrass, dont le Abhandlungen aus der Funktionenlehre en suivant ce lien LiNuM.
Construction arithmétique de l'ensemble des nombres réels (1863) : |
Au cours de l'hiver 1863-64, dans son Introduction à la théorie des fonctions analytiques, Weierstrass présente pour la première fois une construction de l'ensemble des nombres irrationnels. Ses notes de cours furent réunies et publiées 15 ans plus tard par Hurwitz en 1878. » fonctions analytiques
Évitant d'y introduire la notion de limite afin de séparer les nombres de l'analyse et rester dans le domaine de l'arithmétique (on parlera d'arithmétisation de l'analyse), sa construction est basée sur le développement décimal illimité non périodique d'un nombre irrationnel (non rationnel) comme √2, π, e (base des logarithmes népériens).
➔ Rappelons ici qu'un nombre est dit décimal, si la suite de ses décimales est fini (ex : 23,45). Un nombre rationnel est une fraction, quotient de deux entiers a et b; dans cette division, le reste r est inférieur à b (r = 0, 1, ..., b-1) et par conséquent, la suite des décimales du nombre a/b est soit finie (si l'un des restes s'avère nul), soit illimitée périodique.
1/8 = 0,125 est décimal, 1/7 = 0,142867142857142857... est rationnel, non décimal. » Pythagore
Il est clair que tout nombre entier ou décimal est rationnel. La réunion de l'ensemble des nombres rationnels et de l'ensemble des nombres irrationnels constitue l'ensemble des nombres réels R.
Dedekind, Meray et Cantor se lanceront à sa suite sur cette difficile construction que les mathématiciens "attendaient" depuis plus de 2000 ans, suite à la découverte des irrationnels par les Pythagoriciens (disciples de Pythagore).
Définition rigoureuse du concept de continuité et de limite des fonctions numériques : |
Avec Weierstrass, on entre dans un univers de rigueur jusqu'ici ignoré mettant fin à des conclusions hardies de convergence, de continuité ou de dérivabilité comme le firent imprudemment par exemple Fourier et Cauchy.
On lui doit (vers 1850, Journal de Crelle) la première définition précise ("avec les ε") de la notion de limite d'une suite (convergence) et d'une fonction ainsi que la définition formelle de la continuité d'une fonction. L'usage des quantificateurs, introduits au début du 20è siècle (Peano, Gentzen), se rencontrera systématiquement avec Bourbaki.
limite d'une fonction en un point :
Un fonction numérique f admet la limite L au point xo, si et seulement si quel que soit ε > 0, il existe δ > 0 tel que pour tout x vérifiant 0 < |x - xo| < δ, l'on ait |f(x) - L| < ε. Soit avec les quantificateurs :
∀ ε > 0, ∃ δ > 0 / ∀ x, 0 < |x - xo| < δ : |f(x) - L| < ε
» Vocabulaire et notations : Weierstrass parle pour la 1ère fois de voisinage de xo en évoquant l'intervalle ]xo-δ, xo+δ[. Il utilisera aussi ultérieurement la notation lim x →xo allégeant ainsi grandement le discours relatif aux limites de fonctions. L'huillier semble être cependant le premier à avoir utilisé (1786) l'abréviation « lim. » dans un traité d'analyse. A noter aussi que l'on doit à Weierstrass la notation | x | pour la valeur absolue d'un nombre réel.
Continuité d'une fonction en un point :
Si f est définie au point xo, f est dite continue en xo si sa limite en xo est f(xo). Ce que l'on peut exprimer indépendamment de la notion de limite sous la forme :
∀ ε > 0, ∃ δ > 0 / ∀ x, 0 < |x - xo| < δ : |f(x) - f(xo)| < ε
La notion de la continuité uniforme d'une fonction n'est pas due à Weierstrass : elle fut définie par Heine, son contemporain et élève, sinon "jeune" collègue.
Cas d'une fonction de plusieurs variables :
On définirait de façon tout à fait semblable la continuité d'une fonction numérique de deux ou plusieurs variables ou d'une fonction d'un espace métrique E vers un espace métrique F, au moyen de la notion de distance :
∀ ε > 0, ∃ δ > 0 / ∀ x, 0 < d(u, uo) < δ : d(f(u), f(uo) < ε
Dans le cas E = F = R2 muni de la distance euclidienne usuelle et d'une fonction de deux variables réelles x et y, u = (x,y) et uo = (xo,yo), d(u, uo) serait la racine carrée de (x - xo)2 + y - yo)2 en application du théorème de Pythagore.
! La continuité d'une fonction de deux variables x et y entraîne la continuité de x → f(x,y) pour y fixé et de y → f(x,y) pour x fixé, mais la réciproque est fausse. La difficulté de l'étude de ce type de fonction réside dans la multitude de façons, pour un couple (x,y) de tendre vers (xo,yo). Par exemple, si f(x,y) = x/y et si (x,y) tend vers (0,0) sur la droite d'équation y = x, le rapport tend vers1; mais si (x,y) tend vers (0,0) sur la spirale de Cotes (entre autres...), alors on va tourner longtemps : pas de limite !
∗∗∗
On pose f(0,0) = 0 et f(x,y) = xy/(x2
+ y2) pour tout (x,y)
≠
(0,0).
Vérifier que g : x → f(x,y) pour y fixé et de h : y
→
f(x,y) sont continues en 0 mais non pas f.
Fonctions analytiques : |
L'étude des différentes formules de Taylor amène Weierstrass à préciser (1860) la convergence des développements en série de fonctions numériques : fonctions analytiques (terme dû antérieurement à Condorcet) au voisinage d'un point xo, c'est à dire admettant un développement en série entière de la forme
f(x) = Σan(x - xo)n pour tout x, d'un voisinage V de xo.
Il en est ainsi, par exemple, des fonctions sinus et cosinus, de la fonction exponentielle z → ez, z réel ou complexe.
Développements en série usuels : »
Dans le cas complexe, les fonctions analytiques coïncident avec les fonctions holomorphes, sujet fondamental sur lequel Weierstrass complétera les travaux de Cauchy et de Riemann. Il prouva en particulier le résultat suivant :
Théorème :
Soit f une fonction holomorphe sur
un ouvert U de C privé d'un point zo,
point singulier essentiel de f.
Alors, l'image par f
de toute couronne 0 < |z - zo| < r est dense dans C (r > 0).
Convergence uniforme des suites et des séries : |
En 1861, Weierstrass perfectionne le concept de convergence uniforme d'une suite et d'une série de fonctions numériques réelles ou complexes introduit par Gudermann (1838) puis Cauchy (1853). La convergence uniforme permet d'assurer, par exemple, la convergence effective d'une série trigonométrique vers la fonction qu'elle est censée développer ou bien encore la continuité et la dérivabilité d'une fonction définie en tant que somme d'une série de fonctions :
Convergence uniforme, étude, exemples : Cas des suites , Cas des séries » Norme de la convergence uniforme
Convergence uniforme d'une intégrale généralisée, dérivation et intégration "sous le signe somme" : |
Lorsque x varie dans un intervalle J, une fonction F de la variable réelle x peut être définie par une intégrale de la forme :
La notation ci-dessus signifie que l'intégrale :
admet une limité finie lorsque λ tend vers l'infini. On parle d'intégrale généralisée.
On définit ainsi une fonction x → F(x). On dira que la convergence vers F(x) est uniforme lorsque λ tend vers l'infini si :
∀ε > 0, ∃ t > 0 / λ > t ⇒ |F(x) - Fλ(x)| < ε
C'est dire que λ ne dépend pas de x : si t est suffisamment grand, la différence |F(x) - Fλ(x)| sera aussi petite que l'on voudra et ce, quelles que soient les valeurs prises par x dans J.
➔
On dit et
on écrit souvent que
∫[a,+∞]
f(x,t)dt
converge uniformément puisque, par définition, cette intégrale
généralisée
est la limite de
∫[a,λ]
f(x,t)
dt pour
λ infini.
Lorsque la borne infinie est remplacée par une borne finie b, les conditions de dérivabilité et d'intégration de f sont plus simples et furent étudiées par Leibniz.
Critère de convergence uniforme d'une intégrale généralisée :
Si, pour tout x et t, | f(x,t) | ≤ g(t) et g intégrable sur [a,+∞[, alors | f(x,t)| est intégrable. Il en est de même de f(x,t) et on a :
|∫[a,+∞]
f(x,t)dt|
≤
∫[a,+∞]
|f(x,t)|
dt
D'une façon générale, toute fonction absolument intégrable (sa valeur absolue est intégrable) est-elle même intégrable et on a alors :
Théorème 1 :
On suppose J fermé. f est une fonction continue des deux variables x∈J et t∈[a,+∞[, et l'intégrale :
converge uniformément vers une fonction F(x). Dans ces conditions F est continue sur J et pour tout couple (u,v) de points intérieurs à J :
(intégration sous le signe somme)
Théorème 2 :
On suppose J fermé. f est dérivable par rapport à t, f 'x(x,t), dérivée de f par rapport à x, est une fonction continue des deux variables x∈J et t∈[a,+∞[. Dans ces conditions si l'intégrale définie par :
existe (converge simplement) pour au moins une valeur de x dans J et si
converge uniformément vers une fonction g(x), alors F(x) existe pour tout x de J et est dérivable de dérivée F'(x) définie par l'intégrale ci-dessus, soit :
(dérivation sous le signe
somme)
Applications : calcul de l'intégrale de Gauss : » Calcul de l'intégrale de Dirichlet : »
Contre-exemple de Weierstrass : |
Afin de prouver la nette distinction entre continuité et dérivabilité, mal perçue par Cauchy, Weierstrass, exhibe (note lue à l'Académie des sciences de Berlin, 1872) une fonction définie par une série convergente, continue en tout point et dérivable en aucun point dès lors que ab > 1 + 3π/2 :
, avec 0 < a < 1, b entier impair distinct de 1
Ce qui créa un grand trouble dans le monde mathématique de l'époque et dont Hermite aurait dit :
Je me détourne avec effroi et horreur de cette plaie lamentable des fonctions continues qui n'ont pas de dérivée...
Riemann avait construit (1854), avec les mêmes motivations, une fonction continue n'admettant pas de nombre dérivé en tout point rationnel a/b irréductible pour lequel b est pair.
Darboux donna également un exemple d'une telle fonction (continue en tout point, mais dérivable en aucun point) en posant pour tout x réel :
On pourra consulter (» réf.3) la page d'André Brouty sur ce sujet présentant, outre la fonction de Weierstrass, l'étude de Dini sur ce sujet .
➔ Noter que les courbes fractales, aujourd'hui bien connues, sont des exemples de courbes "continues" n'admettant de tangente en aucun point :
» Mandelbrot , Koch , Peano , Hilbert
Point d'accumulation et théorème de Bolzano-Weierstrass, application aux suites numériques : |
On appelle point d'accumulation d'une partie A de R, un réel α pour lequel tout intervalle de centre α contient un point de A autre que α.
Cette importante notion, introduite implicitement par Bolzano dans ses Grössenlehre, écrites entre 1830 et 1835, fut formalisé par Weierstrass 25 ans plus tard.
♦ Par exemple, l'ensemble des valeurs A de la suite numérique définie par :
» Bolzano
admet 0 comme point d'accumulation mais 2, valeur pourtant prise une infinité de fois par u2n , n'en est pas un car un intervalle comme ]2 - t ,2 + t[ privé de 2, avec 0 < t < 1, ne contient aucun élément de la suite.
Propriétés immédiates :
Il découle immédiatement de la définition d'un point d'accumulation les résultats suivants :
a/ Tout ensemble admettant un point d'accumulation
est infini;
b/ Une partie finie ne contient aucun point d'accumulation;
c/ Si A admet un point d'accumulation α, alors il existe une
suite de points de A qui converge vers α.
On note généralement A' l'ensemble des points d'accumulation d'une partie A. Depuis Cantor, on parle d'ensemble dérivé de A. Une partie fermée de R, ou plus généralement d'un espace topologique, coïncidant avec son ensemble dérivé est dit parfait. Un intervalle fermé borné de R est parfait. Il en est de même de l'ensemble triadique de Cantor (» réf. 4).
Tout ensemble parfait est infini non dénombrable : il a la puissance du continu.
Théorème de Bolzano-Weierstrass (1860) :
Selon Jan Sebestik (1931-), français d'origine tchèque, philosophe et historien des sciences, la double paternité de ce théorème est due à H. Schwarz :
Tout ensemble infini (c. à d. ayant une infinité d'éléments) et borné de nombres réels admet au moins un point d'accumulation
» Bolzano
➔ On rencontre couramment des suites ne prenant qu'un nombre fini de valeurs. Dans la définition d'un point d'accumulation, il s'est avéré pratique de pouvoir supprimer la condition autre que α, on parle alors de valeur d'adhérence d'une suite (un) et on peut alors énoncer :
Théorème de Bolzano-Weierstrass pour les suites :
Toute suite bornée admet au moins une valeur d'adhérence
Notions de suites et de séries : » Valeur d'adhérence et point d'accumulation en topologie : »
Rappelons qu'une suite extraite (on dit aussi suite partielle ou une sous-suite) d'une suite (u) est une suite (v) dont chaque élément est choisi dans l'ensemble des valeurs de la suite (u) et on démontre qu'il est équivalent d'énoncer :
De toute suite bornée de nombres réels, on peut extraire une suite convergente
♦ La suite définie ci-dessus admet deux valeurs d'adhérence : 0 et 2.
♦ La suite définie
par un = (-1)n possède deux valeurs d'adhérence
: -1 et 1.
! L'existence d'un unique point d'accumulation ou d'une unique valeur d'adhérence d'une suite n'implique nullement la convergence de cette suite (condition nécessaire non suffisante). Pour s'en convaincre, considérer la suite définie par un = n si n est pair, 1/n sinon.
Théorème de la borne supérieure :
En conséquence du théorème de Bolzano-Weierstrass, on peut énoncer :
Toute suite croissante majorée de nombre réels converge vers sa borne supérieure
et bien évidemment, en corollaire :
Toute suite décroissante minorée de nombre réels converge vers sa borne inférieure
Borne supérieure, borne inférieure : » » Bolzano , Dedekind
∗∗∗
Exemple d'application , points d'accumulation et divergence spirale
Théorème de Stone-Weierstrass (1885) : |
Toute fonction numérique continue sur un intervalle fermé J peut être approchée uniformément par un polynôme
C'est un théorème très puissant d'analyse fonctionnelle que Stone généralisera dans le cadre d'espaces topologiques. L'ensemble F de telles fonctions constitue un espace vectoriel contenant les polynômes qui les approchent. On peut munir cet espace d'une norme, dite de la convergence uniforme :
Le théorème cité exprime que pour toute fonction f de F et pour tout ε > 0 , il existe un polynôme P de F tel que :
Topologie de la convergence simple et de la convergence uniforme : » Polynômes de Bernstein : »
On peut utiliser d'autres normes, associées à des produits scalaires, et pouvant s'avérer plus pratiques pour une recherche concrète d'une approximation polynomiale : c'est l'usage de polynômes orthogonaux comme ceux de Legendre, Tchebychev, Hermite, ...
Théorème d'approximation trigonométrique : |
Toute fonction continue et 2π-périodique d'une variable réelle à valeurs dans C peut être approchée uniformément par un polynôme trigonométrique, chaque terme en cosnx ou sinnx pouvant par linéarisation se ramener à une somme finie de termes de la forme ap.cospx + bp.sinpx).
∗∗∗ exercice de linéarisation.
➔ L'ensemble de ces polynômes trigonométriques est donc partout dense dans l'ensemble des fonctions continues 2π-périodiques (pour la norme de la convergence uniforme).
Séries de Fourier : » Séries de Fourier et espaces L2 : »
Formule de Weierstrass pour la fonction Γ de Euler : |
Weierstrass s'intéressa non seulement aux développements en série des fonctions : sommes infinies Σanfn(x) mais aussi sous forme de produits infinis ∏anfn(x). Un exemple qui porte son nom est le développement de la fonction Γ :
où γ désigne la
constante d'Euler : limite pour n infini de
1 + 1/2 + 1/3 + ... +1/n - ln n.
Preuve de la formule : »
Espace weierstrassien : |
Appellation en hommage à Weierstrass, synonyme d'espace pseudocompact : espace topologique E tel que toute fonction numérique continue sur E est bornée.
➔ Pour en savoir plus :
Les constructions des nombres réels
dans le mouvement d'arithmétisation de l'analyse
par Jacqueline Boniface
IREM - Histoire des mathématiques - Éd. Ellipses, Paris - 2002.
Les fonctions continues sans dérivées, page d'André Brouty : http://www.brouty.fr/Maths/noderiv.html