ChronoMath, une chronologie des MATHÉMATIQUES
à l'usage des professeurs de mathématiques, des étudiants et des élèves des lycées & collèges

LIOUVILLE Joseph, français, 1809-1882

Polytechnicien, ingénieur des ponts et chaussées, Liouville fut élève de Cauchy à l'École polytechnique où il enseigna lui-même dès 1833. Sa thèse de doctorat (double), présentée à  Paris en 1836, dirigée par Poisson portait en 1er sujet sur le développement en séries trigonométriques des fonctions appliqué à la mécanique; le second sujet traitait, en mécanique, sur le devenir d'une masse fluide en rotation.

Il fonda (1836) son Journal de Mathématiques Pures et Appliquées, appelé communément Journal de Liouville (1836), qui fit suite aux Annales de Gergonne. Liouville fut professeur au Collège de France (1839) et admis la même année à l'Académie des sciences.

»  à droite, site Gallica de la BNF : extrait d'une page (1839) sur l'intégration des équations linéaires aux dérivées partielles.  Cliquez sur l'image pour l'agrandir.

Liouville est l'auteur de travaux fondamentaux en théorie des nombres, en analyse réelle et complexe :

Nombres algébriques et nombres transcendants, nombres de Liouville :

Rappelons que depuis Abel, on appelle nombre algébrique toute racine d'un polynôme à coefficients entiers (ou rationnels, cela revient au même). Le degré du polynôme minimal (de plus bas degré) dont il est solution est aussi appelé degré de ce nombre : √2 est un nombre algébrique de degré 2 (on dit parfois quadratique) puisqu'il est une solution de l'équation x2 - 2 = 0.

Dans l'étude de la convergence des fractions continues, on doit à Liouville (1844) d'avoir explicité les premiers nombres non algébriques, dits transcendants, par la découverte des nombres dits de Liouville (» réf. 5) :

Si (ai) désigne une suite d'entiers de 0 à 9, alors la série Σun de terme général un = an/10n! converge
et sa limite est transcendante
.

On sait aujourd'hui depuis Lindemann pour π (rapport de la circonférence à son diamètre) et Hermite pour le nombre e (base des logarithmes népériens) que ces nombres sont transcendants.

Corps de nombres algébriques, entiers algébriques, transcendance :  »

»  Abel , Gelfond , Baker , Wantzel

Approximations diophantiennes :     

Liouville étudia le problème de l'approximation d'un nombre d'un nombre algébrique par un rationnel, approximation dite diophantienne, du nom du mathématicien Diophante d'Alexandrie. Les premiers travaux consistèrent à établir une approximation au moyen des fractions continues (on dit aussi continuées) et  Legendre avait établi une formule majorant l'erreur commise.

Dans le cas général, Liouville montra (1851) que si x est un nombre algébrique irrationnel de degré n, alors pour tout rationnel a/b, il existe une constante k indépendante de x telle que :

| x - a/b | > k(x)/bn  

»  Dirichlet , Hurwitz , Roth , Thue , Siegel

Fonction algébrique, fonction rationnelle/irrationnelle, fonction transcendante :

On qualifie d'algébrique toute fonctionnelle x → y d'une variable réelle ou complexe x, définie sur un domaine D de R ou C, pour laquelle il existe un polynôme P non nul en x et y vérifiant P(x,y) = 0 pour tout x de D.

P et Q désignant des polynômes d'une variable x, les fonctions rationnelles, de la forme polynomiale y = P(x) ou fractionnaire y = P(x)/Q(x), sont algébriques. Une fonction non rationnelle est qualifiée d'irrationnelle.

Une fonction algébrique P(x,y) = 0 peut s'écrire plus généralement an(x)yn + an-1(x)yn-1+ ... + a1(x)y + ao(x) où n est un entier naturel et les ak(x) sont des fonctions rationnelles en x. Quitte à multiplier par le produit des dénominateurs éventuels, on retrouve une expression polynomiale en x et y conforme à la définition, en prenant garde à son ensemble de définition.

Comme on le voit dans l'exemple ci-dessus, de par sa définition, l'unicité de y en fonction de x dans P(x,y) = 0 n'est généralement pas assurée : une fonction algébrique est donc généralement multiforme (plusieurs déterminations) et échappe donc à la définition élémentaire des fonctions enseignées au lycée. 

» Puiseux

Théorème :   

Si f est une fonction est algébrique, sa réciproque f-1, si elle existe, l'est aussi

On peut généraliser la définition à une fonction de plusieurs variables en parlant d'un polynôme P(x1,x2, ...,xn,y) = 0. L'équation implicite P(x,y) = 0 avec x réel, resp. P(x,y,z) avec x et y réels, correspond à une courbe (resp. surface) algébrique.  

Fonction transcendante :   

Une fonction qui n'est pas algébrique est dite transcendante (pour signifier, comme en philosophie, qui dépasse l'entendement). Les exemples les plus connus sont les fonctions trigonométriques usuelles (sinus, cosinus, tangente), les fonctions exponentielles et logarithmiques (ex, ln x), les fonctions trigonométriques hyperboliques (shx, chx).

Liouville s'attacha pendant près de 25 ans à établir une classification des fonctions.  Dès 1844, il s'attèle aux fonctions elliptiques, dont l'étude fut principalement initiée par Abel, et prouve qu'elles ne peuvent s'exprimer au moyen des fonctions dites élémentaires (puissances, exponentielles, logarithmiques, trigonométriques) : ces fonctions, dont l'étude est très ardue, apparaissent comme un nouveau type de fonctions transcendantes.

     Il en est de même d'un grand nombre de fonctions définies par des équations différentielles, même relativement simples comme y" = x + 6y2, conduisant à l'une des fonctions transcendantes de Painlevé.

Montrons que la fonction logarithme népérien ln est transcendante :    

Si ln est une fonction algébrique, il existe un entier naturel minimal n non nul et des polynômes ou fractions rationnelles ak(x) permettant d'écrire :

∀ x > 0 : an(x)×(ln x)n + an-1(x)×(ln x)n-1+ ... + a1(x)×ln x + ao(x) = 0

On peut écrire :

∀ x > 0 / an(x) ≠ 0 : (ln x)n + bn-1(x)×(ln x)n-1+ ... + b1(x)×ln x + bo(x) = 0 avec bk(x) = ak(x)/an(x)

Le membre de gauche de la 1ère égalité est dérivable pour tout x > 0 sous la condition an(x) ≠ 0. Dérivons-le : ∀ x > 0 / an(x) ≠ 0, on aura :

n(ln x)n-1/x + b'n-1(x)×(ln x)n-1 + (n - 1)bn-1(x)×(ln x)n-2/x + ... + b'1(x)×ln x + b1(x)/x + b'o(x) = 0

Multiplions par x. On obtient une nouvelle expression de la forme :

∀ x > 0 / an(x) ≠ 0 : [n+ xb'n-1(x)]×(ln x)n-1 + ... + xb'1(x)×ln x + b1(x) + xb'o(x) = 0

C'est un polynôme de degré n - 1 en ln x car n+ xb'n-1(x) ne peut être nul pour tout x > 0 n'annulant pas an(x) car on aurait b'n-1(x) = -n/x et la fraction rationnelle b'n-1 serait logarithmique (la primitive de 1/x étant ln x à une constante près). Or, il était supposé n minimal : contradiction.

La fonction ln n'est donc pas algébrique.

 Baker et les nombres transcendants : »

 
La fonction caractéristique de Q dans R (dite de
Dirichlet), notée 1Q, est égale 1 si x∈Q et nulle sinon.
Cette fonction est-elle algébrique ?

Un théorème de Liouville (prouvé en fait par Cauchy) :

Rappelons qu'une fonction de C dans C est dite holomorphe sur un ouvert U de C et dérivable en tout point de U (au sens complexe défini sur la page consacrée à Cauchy).

Toute fonction holomorphe sur C et bornée est constante.

Le théorème de d'Alembert-Gauss, dit théorème fondamental de l'algèbre, selon lequel tout polynôme à coefficients réels ou complexes admet au moins un zéro dans C, peut facilement s'en déduire :

Preuve : supposons qu'une telle fonction polynomiale f non triviale (de degré 1 au moins) n'admette aucun zéro, alors 1/f est holomorphe sur C et |1/f | est bornée. Par suite (théorème ci-dessus), 1/f est constante. Donc f est elle-même constante. Contradiction. En conséquence, f admet au moins un zéro.

»  Rouché

Théorème de Sturm-Liouville, théorie spectrale :

 Pour tout endomorphisme compact f d'un espace vectoriel topologique séparé (de dimension finie ou non), toute valeur spectrale de f est une valeur propre de f et le sous-espace propre associé est de dimension finie.

En savoir plus sur la page consacrée à Charles Sturm :  »

Intégrale de Riemann-Liouville :

On nomme ainsi depuis Marcel Riesz, l'intégrale :

définie par Liouville vers 1832 dans le but de généraliser la notion de primitive et de dérivée d'ordre  fractionnaire α.

Le cas α = 1/2 avait été envisagé par Leibniz et le concept repris par Euler lorsqu'il chercha à donner un sens à Γ(x) pour x non entier. Riemann s'empare du sujet en liaison avec les équations intégrales, comme celle d'Abel.


     Pour en savoir plus :

  1. SMF, Revue d'histoire des mathématiques :
    L'élaboration par Riemann d'une définition de la dérivation d'ordre non entier, par Stéphane Dugowson (1996/97) :
    http://smf4.emath.fr/Publications/RevueHistoireMath/3/pdf/smf_rhm_3_49-97.pdf

  2. Construction de nombres transcendants par Maurice Mignotte (Faculté des sciences d'Orsay, 1973).
    http://portail.mathdoc.fr/PMO/PDF/W_WALDSCHMIDT-169_3.pdf

  3. L'intégrale de Riemann-Liouville et le problème de Cauchy pour l'équation des ondes, par Marcel Riesz
    http://archive.numdam.org/article/BSMF_1939__67__S153_0.pdf

  4. Leçons sur la théorie des fonctions, par Émile Borel (1898), univ. californie sur archive.org :
    https://archive.org/details/leconstheoriefon00borerich   » nombres algébriques et nombres incommensurables Ch. II, page 26

Grassmann  Peirce Benjamin
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