DEDEKIND Richard Julius Wilhelm, allemand, 1831-1916 |
Né, comme Gauss, à Brunswick (Braunschweig), Dedekind y débutera ses études et sera son élève à Göttingen (1850) où il obtiendra son doctorat sous sa direction en 1852, thèse intitulée Sur la théorie des intégrales eulériennes.
À la mort de Gauss (1855), il étudiera sous la houlette de Dirichlet, son successeur, tout en enseignant à Göttingen en qualité d'assistant et s'imprégnant des travaux de Galois, de Weber et de Riemann qui fut son ami.
Dedekind sera nommé à l'École Polytechnique de Zurich en 1858, puis à Berlin auprès de Riemann avant de revenir à Brunswick en l'École polytechnique de sa ville natale, créée en 1862 en remplacement de son ancien lycée (Collegium Carolinum, fondé en 1745) et dont il deviendra le directeur. Membre correspondant des académies des sciences de Berlin (1880) et de Paris (1900), Dedekind sera membre à titre étranger de cette dernière en 1910 (membre associé).
Bon nombre de ses travaux furent en collaboration avec son ami Weber (comme sa théorie des fonctions algébriques). Ses apports en théorie des nombres marquent le début de la théorie des ensembles dont la mise en place sera due à Cantor qui fut un ami et dont il encouragea les travaux.
Du nouveau dans les notations et appellations :
• Dedekind nous a légué le terme réel (real en allemand, comme en anglais) pour désigner un nombre quelconque non imaginaire, rationnel ou non. Il utilisa la notation (le R gothique) pour les nombres réels.
• Dedekind fut aussi le premier à parler de nombre irrationnel (Stetigkeit und Irrationalzahlen = Continuité et nombres irrationnels, 1872) plutôt que de grandeur numérique (Zahlengröße) comme le disait Cantor à la même époque dans ses échanges avec Dedekind sur ces mêmes sujets fondamentaux d'ensembles et de nombres. Il assoira ces notations et appellations dès 1883.
• La notation Z pour l'ensemble des entiers relatifs, Z = {...., -3, -2, -1, 0, +1, +2, ... } nous vient aussi de Dedekind (en allemand Zahl = nombre et zahlen = compter) lequel notait J le corps des nombres complexes, aujourd'hui noté C (pas de certitude sur l'origine : Bourbaki semble être l'initiateur, 1939).
• Concernant les ensembles finis, Dedekind parle de Kardinalzahl (nombre cardinal) pour désigner leur nombre d'éléments. Les éléments de N, ensemble des entiers naturels (natürlicher Zahl), sont qualifiés d'ordinaux, en ce sens qu'ils permettent d'ordonner. Dans sa théorie des nombres et des ensembles infinis, Cantor utilisera ces mêmes appellations. En 1888, Dedekind proposa une construction axiomatique de N.
• L'appellation corps est due à Dedekind utilisant le terme Zahlkörper pour un corps de nombres et «Körper R» pour celui des rationnels (1871), dans un supplément d'une réédition des Vorlesungen über Zahlentheorie (Leçons sur la théorie des nombres) de Dirichlet (» Numdam/Dubreil, Réf4). La notation Q (pour quotient) terme que l'on retrouve en français, anglais, allemand et italien (quoziente) s'imposa avec Bourbaki. Le concept formel de corps sera énoncé par Weber en 1893.
» Peano Notations & symboles : »
La construction des ensembles N, Q et R : |
Dedekind précise la structure de corps totalement ordonné des nombres rationnels (1872), puis crée l'ensemble des nombres irrationnels (Stetigkeit und Irrationalzahlen : Continuité et nombres irrationnels, 1872) en introduisant la notion de coupure dans l'ensemble des nombres rationnels :
Cette nouvelle théorie repose sur l'axiome d'Archimède (en fait dû à Eudoxe) : tout rationnel r partage l'ensemble Q des rationnels noté R par Dedekind) en deux classes C1 et C2 constituées respectivement des rationnels r1< r et des rationnels r2 > r. Le nombre r définit ainsi une coupure dans Q que l'on peut approcher aussi finement que l'on voudra. Ces coupures peuvent être provoquées, et c'est là tout l'intérêt, par des nombres non rationnels (comme √2) : ce sont les nombres irrationnels.
Toute coupure définit ainsi un nombre rationnel ou non et Dedekind montre que l'ensemble ainsi construit est un ensemble continu (on préfère aujourd'hui dire connexe) contrairement à N et Q, dont l'ordre prolonge celui de Q : c'est l'ensemble des nombres réels (par opposition aux nombres complexes qualifiés d'imaginaires), que l'on peut identifier à la droite géométrique, image de ce que l'on appela (et appelons encore parfois) le continu arithmétique, comparé au continu géométrique de la droite.
Sans utiliser la notion d'ordre, Cantor arrivera au même résultat au moyen des suites de Cauchy de nombres rationnels définissant implicitement le concept d'espace métrique complet et on remarquera que que la continuité au sens de Dedekind en 1872 s'apparente à la complétude implicite de Cantor.
» Meray Nombres imaginaires de Bombelli : » rebaptisés complexes par Gauss : »
» Le qualificatif arithmétique pour le continu numérique peut paraître contestable car, historiquement, il désigne ce qui a rapport aux nombres entiers ou rationnels (quotients de deux entiers). Il est préférable de parler de continu mathématique dont parlait Poincaré.
Ce résultat est fondamental car le fossé entre la géométrie grecque et les nombres irrationnels est ainsi comblé : on peut parler de droite numérique. Et si la correspondance nombre réel ↔ point sur un axe est fortement intuitive et ne pose aucune difficulté de l'école à l'université, il aura pourtant fallu plus de deux millénaires pour en arriver là !
Intervalles :
La correspondance biunivoque entre nombre réel et point d'une droite (d) conduit à noter de façon semblable un segment [AB], ensemble de points de (d) compris entre A et B, et un ensemble [a,b], de nombres réels x compris au sens large entre a et b (a < b) : a ≤ x ≤ b, qualifié d'intervalle fermé et également appelé segment. La notation ]a,b[ désigne l'ensemble des nombres réels x compris au sens strict entre a et b (a < b) : a < x < b. On peut aussi parler de [a,b[ ou ]a,b] avec des sens évidents.
! Parler d'intervalle dans N ou Z, voire dans Q, au moyen de la notation [ , ] n'est pas recommandé car en principe réservé à R. On pourra écrire cependant [1,10] ∩ N pour parler de l'ensemble {1, 2, ..., 10}.
Cantor et l'équipotence de R et de ses intervalles : » Topologie et Intervalles : »
∗∗∗
Montrer qu'une partie A de R (ou de
R, voir ci-dessous) est un
intervalle si et seulement si
pour tout (x,y) de A × A,
l'intervalle ]x,y[ est inclus dans A.
Construction axiomatique des entiers naturels :
En 1888, Dedekind publia Was sind und was sollen die Zahlen (Que sont et que doivent être les nombres), une œuvre maîtresse fruit de 15 années d'élaboration initiée en 1872.
Faisant usage de la théorie des ensembles de Cantor, il y expose une construction axiomatique des entiers naturels sur laquelle s'appuiera celles des nombres rationnels et des nombres réels. Ce mémoire, le premier en la matière, inspirera Peano. On en trouvera la seconde édition de 1893 en allemand (écriture gothique, difficile à lire... » réf. 5) sur le European Cultural Heritage Online. On pourra aussi consulter une analyse fort bien menée (en anglais) par David E. Joyce (» réf. 6).
La droite numérique achevée R :
L'ensemble des nombres réels n'est pas borné. Si on adjoint à R deux points à l'infini, notés -∞ et +∞, on obtient un nouvel ensemble contenant R, appelé droite numérique achevée, noté R, prolongeant l'ordre total de R de la façon suivante :
∀ x ∈R, -∞ ≤ x et x ≤ +∞
On convient d'écrire R = [-∞,+∞] et R = ]-∞,+∞[. Une notation comme ]a, +∞[ désignera l'ensemble des nombres réels x > a et on parle d'intervalle illimité (à droite). On peut aussi écrire :
x = +∞ si et seulement si quel que soit A > 0, x > A.
x = -∞ si et seulement si quel que soit A < 0, x < A.
On remarquera qu'il n'est pas possible de prolonger à R les opérations de R. La droite numérique achevée ne possède aucune structure algébrique usuelle. Son introduction ne sert qu'en topologie afin d'obtenir, dans le cadre de la notion de limite des fonctions numériques, des définitions et résultats ne dépendant pas de la finitude des éléments considérés.
Un théorème célèbre de Dedekind : |
Toute suite croissante majorée (resp. décroissante minorée) de nombres réels est convergente.
Ce théorème fondamental, né de la construction des nombres réels, est appliqué systématiquement dans l'étude des suites monotones, ou des séries dans l'usage des critères de convergence qui se ramènent à l'étude d'une suite.
Convergence en escalier : » Constante d'Euler : » Calcul d'une racine carrée : »
Critère (ou test) de Dedekind (également dit de du Bois-Reymond) : |
Si la série Σan, à termes réels ou complexes, est convergente, et si la série Σ(bn+1- bn) est absolument convergente, alors la série Σanbn est convergente.
Langage des fonctions et applications : |
Dedekind précisera les notions d'application, d'image et de bijection (correspondance biunivoque). C'est à lui que l'on doit les concepts et notations :
d'image directe (ou simplement image) d'un ensemble A par une fonction f de E vers F, notée f(A), à savoir l'ensemble des y de F tels que y = f(x), x appartenant à A inclus dans E.
d'image réciproque de B par f, notée f-1(B), à savoir l'ensemble des x de E tels que f(x) soit élément de B.
Généralités sur les fonctions et les applications : »
Dedekind donna une définition élégante dun ensemble fini E :
Un ensemble est fini si et seulement si toute application injective de E dans E est bijective
Ce qui revient à dire :
Un ensemble est infini s'il peut être mis en bijection avec l'une de ses parties propres,
Un système S est dit infini lorsqu'il est
équivalent (ähnlich = pareil, semblable) à une de ses parties propres (echt =
véritable);
dans le cas contraire, le système S est dit fini.
Une très belle définition présente dans son Was sind und was sollen die Zahlen (» §5, page 17 = page 41 de la version numérisée) mais dont la paternité reste cependant floue : elle est aussi attribuée sous une forme semblable à Bolzano (1851) mais également à Ch. Peirce.
Quoi qu'il en soit, ce nouveau, simple et élégant concept de la finitude d'un ensemble eut l'avantage d'éviter l'intervention des entiers naturels (ensemble ayant un nombre fini d'éléments) en permettant ainsi une construction de ces derniers au seul moyen du langage des ensembles de Cantor.
Théorie algébrique des nombres, dénombrabilité des nombres algébriques : |
Suite aux travaux de ses compatriotes Kummer et Kronecker sur les nombres idéaux, Dedekind s'investit dans l'étude des corps de nombres algébriques où il crée une nouvelle structure algébrique au sein des anneaux avec la puissante théorie des idéaux (1871, » réf.4). Il met alors en lumière l'anneau Z(i√5) des entiers algébriques issus de l'équation x2 + 5 = 0. Dans cet anneau, non factoriel, par exemple 6 = 2 x 3 = (1 + i√5)(1 - i√5), tout idéal peut cependant s'écrire d'une façon unique (à l'ordre près) comme le produit d'idéaux premiers.
D'une façon générale, on appelle anneau de Dedekind un anneau commutatif intègre dont tout idéal peut s'écrire d'une façon unique (à l'ordre près) comme le produit d'idéaux premiers.
Idéal d'anneau, divisibilité dans un anneau commutatif unitaire, idéal premier : »
En 1873, Dedekind montre que l'ensemble des nombres algébriques est dénombrable, cest à dire que l'on peut établir une correspondance biunivoque entre eux et N (on peut les numéroter exhaustivement).
Dénombrabilité des nombres algébriques : »
L'ensemble de tous les nombres algébriques constituent un sous-corps du corps C des nombres complexes.
L'ensemble de tous les nombres algébriques réels constituent un sous-corps de R contenant le corps des nombres constructibles : l'ensemble des nombres constructibles est donc dénombrable.
L'ensemble des nombres transcendants, complémentaire dans C (ou R dans le cas réel) de l'ensemble des nombres algébriques, n'est donc pas dénombrable. C'est donc dire que contrairement à l'intuition, il n'existe pratiquement que des nombres transcendants...
Notons que l'épithète dénombrable fut utilisé la première fois par Cantor, avec lequel travailla Dedekind, et à qui l'on doit la preuve de la non dénombrabilité de R. Le terme ensemble (Menge, en allemand) est également dû à Cantor. Dedekind utilisait Gebiet signifiant domaine, champ.
➔ Pour en savoir plus :