![]() ![]() » Hypothèse du continu , Équipotence de R à ses intervalles |
La théorie des ensembles de Cantor conduisit ce dernier à réformer le concept de nombre d'éléments. Si le cardinal d'un ensemble fini (i.e. ayant un nombre fini d'éléments) est, sans ambiguïté, son nombre d'éléments, il fallait, pour des ensembles infinis, prolonger cette définition.
Deux ensembles sont dits équipotents s'il existe une bijection (correspondance biunivoque) entre ces ensembles. Ils ont alors même puissance ou, au sens large, même cardinal : en quelque sorte "autant" d'éléments. Dans ce cadre, Bernstein établit d'ailleurs une condition plus souple.
Le cardinal d'un ensemble fini est un nombre entier, celui d'un ensemble infini est un nombre dit transfini. Par exemple, les ensembles N (entiers naturels) et Q (nombres rationnels) sont équipotents. On peut ainsi dire qu'il y a "autant" de nombres rationnels a/b (où a et b sont entiers : fractions) que d'entiers :
La relation définie dans les ensembles par « E est équipotent à F » est une relation d'équivalence (réflexive, symétrique et transitive). Ainsi, plus rigoureusement, un cardinal est une classe d'équivalence pour la relation d'équipotence. Si nous écrivons c1 = c2 en tant qu'égalité de cardinaux, nous entendons par là qu'il existe deux ensembles équipotents E et F tels que : c1 = Card E et c2 = Card F.
Les cardinaux peuvent être comparés. L'ordre ainsi défini est une relation d'ordre total (prolongeant celui de N) entre les cardinaux et même une relation de bon ordre :
Dire c1 < c2 signifiera : si c1 = Card E et c2 = Card F, alors E est équipotent à une partie propre de F, mais F n'est équipotent à aucune partie propre de E.
➔ à noter, bien sûr, que les définitions ci-dessus ne dépendent pas des ensembles E et F choisis pour exprimer c1 et c2. Notons aussi que, tout comme "l'ensemble de tous les ensembles", on peut démontrer que "l'ensemble de tous les cardinaux" n'est pas un ensemble. C'est pourquoi il est hasardeux de parler de relation d'ordre dans l'ensemble des cardinaux.
Cantor utilisa la notation hébraïque ℵ (aleph, 1ère lettre de l'alphabet hébreu choisie au détriment des lettres grecques déjà trop utilisées) pour désigner les nombres transfinis : ℵo est le cardinal de N. Un ensemble équipotent à N est dit dénombrable.
Tout sous-ensemble infini de N est équipotent à N lui-même. En particulier, il y a "autant" d'entiers naturels pairs que d'entiers naturels quelconques (utiliser la bijection f(n) = 2n de N vers P, où P désigne l'ensemble des entiers naturels pairs), "autant" d'entiers relatifs que d'entiers naturels, "autant" d'entiers que de nombres rationnels.
On peut donc écrire :
et plus généralement, toute partie infinie de Q est dénombrable.
Un résultat important : |
Tout ensemble infini possède une partie infinie dénombrable
La démonstration de ce résultat est aisée, mais utilise implicitement le célèbre axiome du choix. En conséquence, pour tout cardinal transfini c, on a : c ≥ ℵo et ce dernier cardinal est donc le plus petit nombre transfini.
En notant Z = Z+∪Z- et en identifiant Q à Z x Z, on peut écrire :
ℵo + ℵo= ℵo et ℵo × ℵo = (ℵo)2 = ℵo
! En première analyse, on est conduit à définir le cardinal de la réunion de deux ensembles disjoints (finis ou non) comme étant la somme de leurs cardinaux et celui de leur produit cartésien en tant que leur produit. Cependant, dans le cas d'un nombre quelconque d'ensembles, l'addition, le produit et l'exponentiation des cardinaux se heurtent à certaines difficultés dépassant le cadre de cette chronologie. Pour plus de détails, on pourra consulter la Théorie des ensembles de Erich Kamke, réf 1.
Cardinal de l'ensemble R des nombres réels : |
Théorème 1 (Cantor) :
Si P(E) désigne l'ensemble des parties d'un ensemble E, alors Card E < Card P(E)
» preuve
C'est donc dire que pour tout ensemble infini E, il existe un ensemble F "plus grand que lui" au sens des cardinaux : la puissance de F est supérieure à celle de E. On peut donc imaginer l'existence d'ensembles de cardinal ℵ1, ℵ2 , ℵ3 ,ℵ4 , ...
Théorème 2 (Cantor) :
L'ensemble P(N) des parties de N est équipotent à R
En vertu de ce théorème et du théorème 1, et en notant ℵ = Card R, on a donc :
On sait (» fonctions) qu'un ensemble fini de cardinal n possède 2n parties. Cantor justifia que l'on peut prolonger cette écriture aux nombres transfinis par :
et l'hypothèse du continu consiste à conjecturer qu'il n'existe aucun ensemble infini de cardinal intermédiaire entre ℵo et ℵ, ce qui signifierait donc que ℵ = ℵ1.
Équipotence de R à ses intervalles finis ou non : |
On dit que R a la puissance du continu. Il en est de même de tout intervalle réel ouvert ou fermé ou semi-ouvert non réduit à un point. On peut prouver cela en commençant par montrer que tous les intervalles bornés de R non réduits à un point sont équipotents : la bijection suivante empruntée à E. Kamke établit une bijection f de ]0,1] (fermé à droite) sur ]0,1[ (ouvert) :
si 1 ≥ x > 1/2 , alors f(x) = 3/2 - x , soit 1 > f(x) ≥ 1/2si 1/2 ≥ x > 1/4 , alors f(x) = 3/4 - x , soit 1/2 > f(x) ≥ 1/4
si 1/4 ≥ x > 1/8 , alors f(x) = 3/8 - x , soit 1/4 > f(x) ≥ 1/8
...
si 1/2n-1 ≥ x > 1/2n , alors f(x) = 3/2n - x, soit 1/2n-1 > f(x) ≥ 1/2n
(n entier non nul)...
En jouant sur les signes stricts et larges, on obtient l'équipotence de [0,1[ avec ]0,1[. L'équipotence de [0,1[ et [0,1] sera obtenu par l'application ci-dessus avec le prolongement f(0) = 0.
Maintenant, par translation (x → x + k) et homothétie (x → kx), qui sont des bijections, il est clair que tout intervalle borné est équipotent à l'un des quatre intervalles étudiés de borne 0 et 1.
Exemples :
Mais dans le cadre du fondement des mathématiques, utiliser l'analyse, le nombre π et les fonctions trigonométriques, c'est mettre la charrue avant les bœufs.
Or un schéma vaut mieux qu'un long discours, et comme pour le paradoxe de Galilée, on peut se convaincre que R, assimilé à une droite quelconque du plan depuis Dedekind, est équipotent à ses intervalles non bornés (demi-droites) ou à ses intervalles par les interprétations géométriques ci-dessous :
fig.1 : Les droites (PA) et (BM') sont parallèles. (AB) est une perpendiculaire commune l'application qui à M décrivant ]A,B] associe M' est une bijection de cet intervalle sur la demi-droite d'origine B contenant M'.
Ci-dessous à droite : le segment brisé ]A', J, B'[ est équipotent à ]AB[ en définissant la bijection qui les échange au moyen de deux rotations d'angle 45° de centre J (invariant). Comme précédemment ]A'J] et ]B'J] sont respectivement équipotents aux demi-droites [JA) et [JB); ce qui tend à prouver par ce biais géométrique que R est équipotent à l'un quelconque de ses intervalles ouverts.
Existe-t-il un ensemble connu ayant une puissance supérieure à celle du continu ? |
La réponse est affirmative : l'ensemble des fonctions numériques f : [0,1] → R est (clairement) non dénombrable et (surtout) son cardinal est strictement supérieur au continu : la preuve suivante est encore empruntée à
E. Kamke :Considérons l'ensemble F des fonctions f : [0,1] → R. Soit D le sous-ensemble de F constitué des fonctions prenant que les deux valeurs 0 et 1. Supposons que D ait la puissance du continu. A tout réel u de [0,1], on peut alors associer bijectivement une fonction fu de D. Construisons alors la fonction g telle que :
La fonction g ne coïncide avec aucune fonction fu et pourtant g est une fonction de D puisqu'il y a "autant" de u que de fu. Cette contradiction prouve que D n'a pas la puissance du continu. A fortiori l'ensemble F non plus, puisque F contient D.
Nous avons Card F > ℵ = Card R. En effet, le sous-ensemble de F constitué des fonctions constantes est clairement équipotent à R (se donner un réel k, c'est se donner une fonction constante x → k). Le résultat sera prouvé s'il est assuré que F n'est pas équipotent à son sous-ensemble constant, mais c'est évident puisque F n'est pas équipotent à R.
Notons qu'intuitivement, le cardinal de F est 2ℵ vu que les valeurs des fonctions de F sont 0 ou 1 : principe de construction des parties d'un ensemble fini.
L'hypothèse du continu et le monde étrange des objets fractals : |
Cantor démontra, après trois années de recherche, et à sa grande stupéfaction puisque voulant prouver le contraire, qu'un carré comme [0,1] × [0,1] est équipotent à [0,1]. A cet égard, dans une de ses nombreuses correspondances avec Dedekind, il écrivit : Je le vois, mais je ne le crois pas.
Cantor devait alors émettre sa fameuse conjecture, dite hypothèse du continu : si c désigne un cardinal transfini et ℵ le cardinal de R, l'encadrement :
n'a pas lieu. En d'autres termes
= Card R ou encore
ℵ1 = 2ℵo
.
L'hypothèse
généralisée du continu fut d'énoncer que
pour tout k :
ℵk+1 = 2ℵk
Et cette conjecture fut prouvée indécidable par Cohen (1962).
La correspondance biunivoque entre [0,1] × [0,1] et [0,1] conduisit Peano à exhiber géométriquement une application surjective de [0,1] sur [0,1] × [0,1]. On entre alors dans le monde étrange des objets fractals de Mandelbrot.
➔
Pour
en savoir plus :
E. Kamke, Théorie des ensembles , Ed. Dunod, Paris - 1964.
i Erich Kamke (1890-1961) est un mathématicien allemand. Il obtint son doctorat à Göttingen (1919) sous la direction de Landau. Il enseigna principalement à Tübingen. Victime du régime nazi, (sa femme était de confession juive), son poste lui fut retiré en 1937. On ne le lui rendit qu'à la fin de la guerre, en 1945.