ChronoMath, une chronologie des MATHÉMATIQUES
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CLEBSCH Alfred Rudolf Friedrich , allemand, 1833-1872

Après des études de physique à Königsberg (Kaliningrad, sa ville natale) et une thèse en hydrodynamique (1854), Alfred Rudolf Clebsch commença à enseigner la physique théorique mais se tourne finalement vers les mathématiques pures (dès 1858) et entame sa carrière à Berlin. Il enseignera ensuite à Karlsruhe (1863-68), à Giessen puis à Göttingen.

En analyse, Clebsch compléta des travaux de Jacobi sur le calcul des variations et les systèmes d'équations différentiels) avant d'aborder la géométrie algébrique dans l'étude des courbes et surfaces algébriques dont il deviendra, avec la théorie des invariants algébriques initiée par les anglais Sylvester et Cayley, un spécialiste. Ces travaux seront poursuivis par Max Noether, son élève à Giessen.

En collaboration avec son compatriote Paul Gordan, on lui doit une nouvelle théorie des fonctions abéliennes fondée sur la théorie des courbes algébriques (Theorie der Abelschen Funktionen, 1866).

   En 1868, Clebsch fut le cofondateur, avec Carl G. Neumann, de la revue Mathematische Annalen consultable en ligne sur  εuDML (https://eudml.org/journal/10142) ainsi que sur le site de l'université de Göttingen à l'adresse http://gdz.sub.uni-goettingen.de.

Genre d'une courbe et d'une surface :

  Dans les années 1860, poursuivant des travaux de Cramer et de Plücker et parallèlement à ceux de Cayley, Clebsch étudie les courbes et les surfaces algébriques en introduisant, afin de classification, la notion de genre d'une courbe algébrique plane (über die jenigen ebenen Curven, deren Coordinaten rationale Functionen eines Parameters sind, Sur ces courbes planes dont les coordonnées sont des fonctions rationnelles d'un paramètre, 1864, » réf.1 & réf.2), à savoir le nombre :

g = ½(n - 1)(n  - 2) - d    (g)

où d désigne son nombre de points doubles (ou multiples) ou de rebroussement dénombrés projectivement, c'est à dire en tenant compte de points singuliers à coordonnées réelles ou complexes ou à l'infini (points cycliques). Nombre que Cayley appela déficience. Clebsch montra que le genre est invariant par transformations birationnelles (bijection rationnelle ainsi que sa réciproque). Le mathématicien français Georges Halphen prouva que deux courbes algébriques planes de même genre s'échangent par de telles transformations (» réf.8).

    Par cubique non dégénérée, on veut exprimer que son équation n'est pas factorisable par un polynôme de d° ≥ 1. La formule (g) indique que le nombre de points doubles d'une courbe algébrique non dégénérée ne peut excéder ½(n - 1)(n  - 2).

Si, en un point multiple d'ordre p, les tangentes à (c) sont distinctes, alors ce point multiple équivaut à ½p(p - 1) points doubles. Quand les tangentes sont confondues, la situation est ambiguë, il y a confusion des genres et une étude approfondie nécessite l'apport de la géométrie algébrique moderne (» réf.3).

Conséquences :    

1/  Soit (c) une cubique non dégénérée d'équation implicite f(x,y) = 0 : courbe algébrique de degré n = 3. Selon (g), (c) possède au plus un point double. Lorsqu'elle en admet un, par changement d'origine on peut supposer que c'est en O(0,0). Posons alors y = tx, t désignant un paramètre réel. L'équation du 3è degré en x, f(x,tx) = 0 admet une solution double en O et une solution du premier degré en x, fonction de t : f(x,tx) = x2φ(x,t).

En annulant l'expression de φ, on tire x = g(t) puis y = h(t) = tg(t). La courbe (c) admet donc une représentation paramétrée : autrement dit, elle est unicursale au sens stricto sensu : x et y sont des fonctions rationnelles de t.

  Exemple : x3 + y3 + x2 - 4y2 = 0 | » courbes niveau sup.

2/  Ce résultat se généralise à une courbe algébrique de degré n (» réf.1) :

Toute courbe algébrique de degré n admettant un unique point multiple d'ordre n - 1 pris comme origine
est unicursale et on peut établir sa représentation paramétrée en posant y = tx.

3/ Dans le cas de plusieurs points doubles :

Toute courbe algébrique de genre 0 est unicursale

Autrement dit :

Toute courbe algébrique de degré n admettant exactement ½(n - 1)(n  - 2) points doubles est unicursale

Dans ce cas (» réf.5), on ne coupe pas la courbe (c) étudiée par la droite y = tx (qui est algébrique de degré 1 = 3 - 2), mais généralement par une courbe algébrique de degré n - 2 passant par les points doubles de (c), soit  (n - 1)(n - 2)/2 et par n - 3 points réguliers de (c). Pour définir la courbe auxiliaire d'intersection, il reste en théorie (n - 2)(n + 1)/2 - (n - 1)(n - 2)/2 - (n - 3) = 1 point à définir, donc un coefficient indéterminé : ce sera le paramètre t cherché.

La méthode n'est pas infaillible car elle est basée sur le nombre de points définissant une courbe algébrique, au plus n(n+3)/2, et le nombre théorique de points d'intersection np de deux courbes de degrés respectifs n et p : suivant le cas étudié (degré de la courbe, ordre de multiplicité des points doubles), on peut être amené à modifier les conditions de recherche.

  Exemple : dans le cas d'une lemniscate de Bernoulli, courbe algébrique de degré 4. Choisissons (x2 + y2)2 - x2 + y2 = 0 afin de correspondre au cas étudié sur la page de la lemniscate. Admettant 3 points doubles (l'origine et les deux points cycliques à l'infini) : g = ½(4 - 1)(4  - 2) - 3 = 0 : la lemniscate est unicursale, de paramétrage rationnel.

Afin de la paramétrer, on va l'intersecter avec une courbe de degré 4 - 2 = 2 : donc par une conique; cette conique passe par O et les points cycliques. Son équation est donc de la forme x2 + y2 + ax + by = 0; c'est un cercle; faisons le passer par 4 - 3 = 1 point régulier de la lemniscate, un des sommets sur (Ox) par exemple : x = 1, y = 0.

Tout autre de point régulier conduirait à une représentation équivalente. Ce choix conduit à  a = - 1 et à  x2 + y2 - x + by = 0. Le coefficient b joue ainsi le rôle du paramètre généralement noté t. Faisons b = t. On a alors le système (x2 + y2)2 - x2 + y2 = 0 et x2 + y2 - x + ty = 0. De ces deux équations, on tire x2 + y2 = x - ty, puis  (x - ty)2 = x2 - y2 conduisant à y = 2tx/(t2 + 1). On reporte dans la seconde équation pour obtenir x puis y :

» On retrouve ainsi l'équation paramétrique rationnelle issue de la représentation paramétrique trigonométrique de la page consacrée à cette courbe.

On se reportera à la page consacrée aux courbes algébriques pour de plus amples résultats. En particulier :

4/ Toute courbe algébrique de degré n ≥ 2 dont l'équation implicite f(x,y) = 0 se décompose en g(x,y) + h(x,y) = 0 où g (resp. h) est un polynôme homogène de degré n (resp. n - 1) est unicursale.

5/ Dans le cas d'une courbe définie par une équation polaire r = f(θ), où θ n'intervient que par des expressions algébriques de ses lignes trigonométriques, on peut se ramener à une représentation paramétrique x = f(t) , y = g(t), donc établir que la courbe est unicursale en posant x = rcosθ , y = rsinθ puis t = tan(θ/2), paramètre permettant d'exprimer rationnellement les lignes trigonométriques de θ.  » fonction tangente

Courbes algébriques, généralités, points singuliers, équations, courbes unicursales, branches infinies :  »


  Clebsch se pencha également sur la classification des surfaces algébriques en étudiant celles qui peuvent se correspondre par transformation continue (homéomorphisme). Ce qui revient grosso modo à étudier leurs nombres de trous, ce nombre étant lié aux problèmes de connexité.

Le genre d'une surface est le nombre maximal de découpes suivant une courbe fermée que l'on peut effectuer sur la surface de sorte que celle-ci soit encore connexe (d'un seul tenant). C'est un problème difficile de topologie que Riemann étudiera également. La sphère ou l'ellipsoïde sont de genre 0. Le tore est de genre 1 (si on le coupe correctement...) ainsi que le ruban de Möbius. La bouteille de Klein est de genre 2.

Un "bretzel" comme ci-dessous, que l'on peut interpréter comme un tore à 2 trous, est également de genre 2. Mais cette propriété apparut insuffisante pour la classification des surfaces. Riemann, puis Hilbert et Poincaré apportèrent d'autres critères en associant à toute surface un graphe connexe polygonal associé aux nombres de Betti dans le cadre de la topologie combinatoire et algébrique.

Caractéristique d'Euler-Poincaré :  »          »  Georges Humbert


    Pour en savoir plus :

  1. über die jenigen ebenen Curven, deren Coordinaten rationale Functionen eines Parameters sind, par Alfred Clebsch (en allemand),
    Journal de  Crelle, 1864 : https://www.maths.ed.ac.uk/~v1ranick/papers/clebschgenus.pdf
  2. Qu'est-ce que le genre ? par Patrick Popescu-Pampu (professeur univ. Lille1) :
    math.univ-lille1.fr/~popescu/2011-Genre.pdf
  3. Géométrie algébrique, une introduction, par Daniel Perrin (univ. Paris Sud), CNRS Éditions, EDP Sciences - Paris, 1995/2013
  4. Sur les courbes unicursales, par Eugène Fabry, univ. Montpellier (1896) :
    http://www.numdam.org/article/ASENS_1896_3_13__107_0.pdf
  5. Courbes et surfaces, par Jean Taillé, Que sais-je ? n°564, P.U.F., Paris - 1953 (1ère éd.), 1975 (4è éd.).
  6. Paramétrage des courbes cubiques d'Alfred Clebsch, par François Lê (univ. Lyon) :
    http://math.univ-lyon1.fr/~fle/Accueil_files/Article_courbes_fonctions_preprint.pdf
  7. Genre d'une surface (et belles illustrations) sur le site de MathCurve de Robert Ferréol.
  8. Sur la conservation du genre des courbes algébriques dans les transformations uniformes, par Georges Halphen
    http://www.numdam.org/item/BSMF_1875-1876__4__29_1/
  9. Caractéristique d'Euler-Poincaré (CNRS) :
    http://analysis-situs.math.cnrs.fr/-Caracteristique-d-Euler-Poincare-92-.html
  10. Courbes géométriques remarquables, par H. Brocard et T. Lemoyne, tome I, Librairie AL Blanchard


Sylow  Fuchs
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