|
i Le nom de cet éminent algébriste
du 9è siècle est également orthographié suivant les traducteurs et les contrées
Al-Khuwarizmi, Al-Huwarismi, Al-Khorezmi.
Al-Khwarizmi Muhammad ibn Moussa est originaire de Khiva (Ouzbékistan) dans l'ancienne province du Kharezm, également transcrit Khwarizm (Ouzbékistan actuel) et ancien nom de Khiva, d'où son nom. Il fut astronome sous le règne éclairé du Calife Abd Allah al-Mahmoun (786-833) qui encouragea la philosophie et les sciences en ordonnant la traduction (en 827) des textes de la Grèce antique. C'est ainsi que fut connue, en astronomie, l'œuvre de Ptolémée, dite Al majisti (la très grande) : l'Almageste. Deux ans plus tard, Al Mahmoun fit bâtir l'observatoire astronomique de Bagdad et créa ce qu'il nomma la Maison de la Sagesse, en quelque sorte une académie réunissant, dans tous les domaines de la connaissance, les plus illustres savants de toute contrée, y compris l'Inde et la Chine.
La notoriété d'Al-Khwarizmi nous est parvenue à travers les siècles moins par ses talents d'astronome que par son intervention dans l'art du calcul algébrique : il est l'auteur du célèbre ouvrage Kitab Al jabr w'al mouqabala, translittération latine du titre arabe, soit : Livre sur la science de la transposition et de la réduction.
Ce traité, écrit vers l'an 820 à la demande du Calife Al Mahmoun de Bagdad (813-833), place Al-Khwarizmi comme un des premiers algébristes, mais ces travaux auraient été inspirés de ceux de l'indien Brahmagupta. L'influence indienne se retrouve dans l'usage (modéré) du système décimal positionnel pour lequel il développe les règles les règles de calcul élémentaire dans un opuscule intitulé Livre de l'addition et de la soustraction selon le calcul indien.
Khiva, Ouzbekistan. Source photo :
http://www.iberiasiatour.com/french/Khiva.html
➔ Le système décimal et les chiffres indo-arabes ne prendront vraiment leur place qu'au-delà du 12ème siècle. Al-Khwarizmi n'utilise aucun symbolisme et les nombres, représentés en base 60 (système sexagésimal), sont écrits généralement verbalement (en toutes lettres) ou au moyen de l'alphabet grec dont l'héritage est encore très présent, faisant donc fi du système décimal des algébristes indiens de son époque, à l'exception de son opuscule évoqué ci-dessus. Mais sa renommée influença les mathématiciens arabes, dont principalement Al-Biruni, et le système décimal se propagera jusqu'en Occident.
Stevin et le système décimal : » Les systèmes de numération : »
L'avènement d'un nouveau concept, l'algorithme : |
La démarche méthodique et la puissance de ses calculs, par l'usage des chiffres "arabes" (plus justement indiens) valut à Al-Khwarizmi de voir son nom utilisé dès le 12è siècle en Occident : algorismo en espagnol, algorisme en français), mot formé sur son nom et sur le mot grec arithmos , signifiant nombre et qui a donné arithmétique = science du calcul. Les algorithmistes ou algoristes, calculant avec les chiffres arabes, s'opposèrent alors aux abacistes : ceux qui utilisaient les abaques (bouliers qu'utilisaient les grecs de l'Antiquité).
En mathématique et en informatique, l'algorithme peut se définir comme étant :
L'ensemble des
règles et d'instructions à suivre, effectivement exécutables, permettant
d'obtenir
un résultat clairement défini
en un nombre fini d'étapes
L'algorithme est ainsi conséquence directe d'une bonne analyse (du grec analusis = décomposition) du problème.
Une branche nouvelle des mathématiques : l'algèbre : |
Algèbre (14è siècle) vient de l'arabe al jabr utilisé par Al-Khwarizmi pour signifier la transposition (mot à mot reboutement, soit : remise en place, réparation) d'un terme d'un membre à l'autre d'une équation. Cette transposition se traduit essentiellement par l'ajout d'une même quantité dans les deux membres de l'équation afin d'éliminer les termes apparaissant en soustraction.
La mouqabala (mouqabal = opposé, face à face) est l'action consistant à supprimer les termes identiques dans les deux membres et à diviser éventuellement afin d'obtenir soit la solution (1er degré) soit une équation normée (dont le coefficient en x2 est 1) dans le cas du second degré.
Les termes arabes désignant l'équation (muadala), l'inconnue (gezr = racine, ou cheï = chose) et le carré de l'inconnue (mahal) apparaissent. Al-Khwarizmi fait allusion aux nombres négatifs des mathématiciens Indiens mais ne les accepte pas comme solutions de ses équations. Elles ne seront pris en compte en occident qu'après Girard et Descartes et définitivement adoptés seulement après les travaux de Gauss !
Le terme racine est utilisé pour signifier "quelque chose de caché" (comme la racine d'une plante) qu'il s'agit de déterminer. Le même terme est utilisé pour désigner les nombres solutions d'équations comme x2 = a, x3 = a correspondant aux racines carrées et cubiques.
➔ Al-Khwarizmi ne considéra que des équations à une seule inconnue. Ce qui ne fut pas le cas, par exemple, de son illustre prédécesseur en la matière, Diophante d'Alexandrie au 4è siècle. Selon Adolf P. Youschkevitch (» réf.1), Al-Khwarizmi n'a pu être influencé par Diophante dans la mesure où ce dernier ne fut connu et traduit en arabe à Bagdad qu'à la toute fin du 9è siècle (» réf.4b).
» Al-Karaji , Al-Biruni , As-Samaw'al
Al-Khwarizmi connait bien sûr les nombres irrationnels qu'ils nomment à cette époque nombres sourds (assam) pour signifier inexprimables, qui dépassent l'entendement. Cette appellation traversa les siècles : on la retrouve chez Peletier au 16è siècle et encore chez J. Querret au 19è (Traité d'arithmétique, 1823, » réf.8, p.99), utilisant cependant également le qualificatif d'irrationnel.
Les algébristes indiens s'émancipèrent de la géométrie mais Al-Khwarizmi reste plutôt fidèle à la tradition grecque : afin de justifier le bien-fondé de ses calculs algébriques, il prouve au préalable, comme le fit Euclide auparavant, certaines identités remarquables usuelles en utilisant le support géométrique des aires. On prouve en effet facilement par ce moyen les deux formules ci-dessous :
(a + b) 2 = a2 + 2ab + b2 , (a - b) 2 = a2 - 2ab + b2
On constate, par exemple pour la première, que l'aire du carré de côté a + b est obtenue en ajoutant les aires des carrés grisés et deux fois celle des rectangles de dimensions a et b, d'aire ab. Les générations suivantes d'algébristes arabes, comme l'égyptien Abu Kamil, s'affranchiront peu à peu du support géométrique au profit d'algorithmes algébriques déduits des observations géométriques.
∗∗∗
Montrer que la figure ci-dessous illustre la formule détestée des élèves de
3ème... :
a2 - b2 = (a + b)
x (a - b)
Al-Khwarizmi énonça des règles algébriques de résolution d'équations du second degré qu'il ramène aux diverses formes :
|
les carrés égalent les nombres |
|
les carrés égalent les racines |
|
les carrés et les racines égalent les nombres |
|
les carrés égalent les racines et les nombres |
|
les carrés et les nombres égalent les racines |
➔ Les mathématiciens Arabes, encore très influencés par les Grecs, Euclide et Diophante en particulier, n'utilisent pas encore, contrairement aux mathématiciens Indiens, comme Brahmagupta au 7è siècle, les nombres négatifs, ce qui explique les différents cas étudiés. On recherche une solution positive; une écriture comme x2 + ax + b = 0 n'a pas encore de sens : le zéro n'existe pas. Si un terme est en soustraction, on rétablit par transposition (al jabr). Le troisième degré sera traité principalement par Al-Khayyam, 300 ans plus tard.
Les
résolutions d'Al-Khwarizmi sont semblables à la mise sous la
forme canonique enseignée aujourd'hui
:
afin de se ramener à une forme simple X2 = A.
» Cette formule revient à écrire que l'aire jaune ci-contre est égale à l'aire du grand carré de côté x + 2 x a/4 = x + a/2, privée de l'aire des 4 carrés bleus de côté a/4.
☼ Par exemple, l'équation x2 + 12x = 133 peut s'écrire (x + 12÷2)2 - 122/4 = 133, soit (x + 6)2 - 36 = 133. D'où par al jabr (ajout de 36 dans les deux membres) : (x + 6)2 = 169. Par jizr (extraction de la racine carrée), une solution positive est alors obtenue par la simple équation du 1er degré : x + 6 = 13, soit x = 7.
Résolution complète (de nos jours) de l'équation du second degré : » » Savasorda
De la même manière, Al-Khwarizmi traita, entre autres, les cas :
Les recherches trigonométriques liées à l'astronomie et à la cartographie : |
En trigonométrie, dans le cadre de calculs astronomiques relatifs à la position des astres du système solaire et suite aux travaux de l'astronome indien Aryabhata, il est coutume d'attribuer à Al-Khwarizmi, dans un traité écrit à Bagdad, la volonté d'asseoir l'utilisation systématique de la demi-corde, équivalente à notre sinus dans un cercle de rayon 1, en remplacement des cordes de Ptolémée.
En astronomie, dans un livre intitulé Kiteb Surat al-Arḍ (livre de la description de la Terre), Al-Khwarizmi apporta un grand nombre de corrections aux coordonnées géographiques (latitude, longitude) des grandes citées du monde alors connu recensées par Ptolémée 700 ans auparavant mais toujours en usage à son époque. Cependant, pour ce faire, il déplaça 10° à l'Est sur le continent africain le méridien origine que Ptolémée avait choisi sur l'île de Fer des Canaries, au point le plus occidental du monde connu. Ce qui sèmera une certaine confusion dans le monde des géographes (» réf.9-10).
On lui doit des tables astronomiques fort précises basées tant sur ses observations que sur des compilations de tables indiennes. Pour ce faire, il perfectionna des instruments d'observation comme le quadrant astronomique gradué en degrés, initié au 2è siècle par Ptolémée, et mit au point des cadrans solaires précis informant les fidèles de l'heure des prières. Selon P. Youschkevitch, son ouvrage ne fut connu que vers l'an 1000 et sans doute complété par Abu Al Qasim Maslama, un astronome installé à Cordoue (» réf.9).
Cette illustration montre un quadrant astronomique, sorte
de rapporteur géant limité à aux mesures d'observation (0° à 90°).
Il possède deux plans de rotation (horizontal et vertical). L'œil de
l'observateur est en A et regarde en direction de [Ay) aidés par les deux
viseurs
(en noir), petites pièces fendues appelés alidades. Le quart de cercle
est gradué en demi-degrés.
Le fil à plomb, fixé en A, indique l'angle d'inclinaison : ^xAy = ^zAv (angles à
côtés perpendiculaires).
Source
Wikipédia (Deutsche Fotothek).
Domaine public
➔ Pour en savoir plus :
Les mathématiques arabes du 8e au 15e siècle, Adolf P. Youschkevitch,
Éd. Vrin - CNRS - Paris -1976
a) L'algèbre d'Al-Khwarizmi et les méthodes indienne et grecque, Léon
Rodet, 1878
https://archive.org/details/LalgbreDAlKhrizmiEtLesMthodesIndienneEtGrecqueLonRodet1878/page/n4...
ou bien (mais lecture peu pratique) :
http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k995262
b) Diophante et l'algèbre, par Nicolas Farès (Société libanaise d'histoire
des sciences arabes) :
https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-01741649/document
Histoire de la numération arabo-indienne par Mohamed El Mahdi Abdeljouad
(colloque EMF 2006) :
http://emf.unige.ch/files/3214/5389/0026/EMF2006_GT3_Abdelajaouad.pdf
par Patrice Hernert, Que sais-je n °2928, Ed. P.U.F., Paris - 1995