ChronoMath, une chronologie des MATHÉMATIQUES
à l'usage des professeurs de mathématiques, des étudiants et des élèves des lycées & collèges

DEHN Max Wilhelm, allemand, 1878-1952

Fils de médecin, né à Hambourg, Max Dehn fit ses études supérieures de mathématiques à Fribourg (Freiburg in Brisgau) et à Göttingen où il obtient son doctorat (1899) dirigé par l'illustre David Hilbert.

Sa thèse (Die Legendreschen Sätze über die Winkelsumme im Dreieck = Les théorèmes legendriens sur la somme des angles dans le triangle) portait sur les fondements de la géométrie euclidienne et la nécessité d'inclure ou non l'axiome de continuité d'Archimède.

»  Archimède , Legendre

Après divers postes d'enseignant dans des universités allemandes (Karlsruhe, Münster, Kiel), Dehn succède à Bieberbach à l'université de Francfort (1921), mais, de confession juive, il doit quitter son poste (1935) et fuir l'Allemagne nazie en 1938.

Après s'être réfugié en Europe du nord, il s'installera aux États-Unis en 1940 via la Russie (Vladivostok) et le Japon, comme dut le faire également Kurt Gödel. Professeur dans plusieurs universités américaines, il n'y obtint pas de poste fixe et intégra finalement (1945) le Black Mountain College (Asheville, Caroline du nord), un établissement privé d'enseignement supérieur fondé en 1933 à vocation plus artistique et littéraire que mathématique mais qui contenta son penchant pour la philosophie.

On doit à ce brillant géomètre la résolution par la négative du 3ème problème de Hilbert, La méthode euclidienne de décomposition en polyèdres est-elle applicable à tous les volumes ? (» ci-après) où  il montre la nécessité de l'axiome d'Archimède pour la construction d'une géométrie cohérente en dimension 3. Dehn fut en outre un pionnier dans le développement de la théorie des noeuds et de la topologie algébrique, dite combinatoire à l'époque, également étudiée à la même époque, par Emmy Noether et Hopf, notamment.

Le 3ème problème de Hilbert :

Le Congrès International des Mathématiciens qui s'est tenu à Paris du 6 au 12 août 1900 est resté célèbre par la conférence de David Hilbert, Sur les problèmes futurs des mathématiques : 23 problèmes dont le 3ème porte sur la géométrie de l'espace euclidien :

La méthode euclidienne de décomposition en polyèdres congruents est-elle applicable à tous les volumes ?

» Par congruent, on entendait à l'époque superposables. Plus précisément, deux objets de l'espace sont congruents si l'un est l'image de l'autre par un déplacement (translation, rotation, vissage). Physiquement parlant, ils sont donc identiques.

En fait, le problème fut passé sous silence lors de la conférence de Hilbert (qui ne présenta, par manque de temps, que 10 de ses problèmes). Rien d'étonnant car le brillant élève Max Dehn l'avait déjà résolu par la négative : Über raumgleiche Polyeder (Sur les polyèdres congruents, Göttingen, 1900) en introduisant ce que l'on appelle aujourd'hui l'invariant de Dehn lié aux angles polyèdres. Hilbert publiera un texte plus complet en 1902 : Über den Rauminhalt der Polyeder (Sur le volume des polyèdres).

Pour le calcul d'une aire ou d'un volume complexe, on fait généralement appel à des décompositions en unités quarrables (dont on sait calculer l'aire) ou cubables (dont on sait calculer le volume). On sait que le volume de la pyramide est donné par la formule Base × Hauteur/3 (due à Eudoxe et magnifiquement exposée par Euclide dans son livre XII). Ainsi, deux pyramides de même base et même hauteur ont le même volume. La preuve d'Euclide utilise la méthode d'exhaustion et l'axiome d'Archimède. Pour un volume quelconque, la méthode d'Euclide semble peu adaptée. Hilbert exprime alors le problème comme suit :

III -De l’égalité en volume de deux tétraèdres de bases et de hauteurs égales.

Dans deux lettres adressées à Gerling, Gauss exprime le regret que certains théorèmes de la stéréométrie (mesure des solides) dépendent de la méthode d’exhaustion, où, comme on dirait aujourd'hui, de l’axiome de continuité (ou de l’axiome d’Archimède). Gauss cite en particulier ce théorème d’Euclide que deux pyramides triangulaires (à base triangulaire) de même hauteur sont entre elles comme leurs bases (les volumes sont dans le même rapport que leurs bases). Le problème analogue relatif au plan est aujourd'hui complètement résolu (celui des aires planes).

Gerling a réussi à démontrer l’égalité des volumes de (deux) polyèdres symétriques en les décomposant en parties congruentes. Mais la démonstration par ce moyen du théorème précité d'Euclide dans le cas général ne me semble guère possible. Il s'agit donc alors d'une (de donner une) démonstration rigoureuse de l'impossibilité du problème. Une telle démonstration serait obtenue dès lors que l'on pourrait exhiber deux tétraèdres de bases et de hauteurs égales qu'il serait impossible de décomposer en tétraèdres congruents et qui ne pourraient non plus, par addition de tétraèdres congruents, être transformés en polyèdres eux-mêmes décomposables en tétraèdres congruents.

» Christian Ludwig Gerling (1788-1864) fut un élève de Gauss. Mathématicien et astronome à Göttingen.

Les 23 problèmes de Hilbert : »            »  Giuseppe Véronèse

Le problème du pavage carré :

Un rectangle (ou un carré) peut-il être découpé (pavé) en carrés deux à deux distincts ?

D'apparence ludique, ce problème est cependant difficile. En poste à Münster, Dehn s'y intéressa (über Zerlegung von Rechtecken in Rechtecke, 1903, » réf.10) et montra qu'une condition nécessaire et suffisante est que le rapport de la longueur à la largeur soit rationnel (côtés commensurables). La condition est donc remplie pour le carré. Le nombre de carrés utilisé pour le pavage est l'ordre de ce pavage. Dans le cas du carré, le plus petit ordre est 21 (et le côté du carré est de 112 unités).

Le lecteur intéressé par le sujet pourra consulter les liens cités en référence, en particulier la page d'Eric Weisstein (Perfect square dissection, » ref.12) à laquelle le pavage carré d'ordre 21 ci-dessus a été emprunté.

Le problème des mots (en anglais word problem) :

En 1911, dans le cadre de la théorie des groupes, Dehn pose trois problèmes (Die drei Fundamentalprobleme für die unendlichen diskontinuierlichen Gruppen, soit en français : Les trois problèmes fondamentaux pour les groupes infinis dénombrables, » réf.6) dont le 3ème, qu'il intitule le problème de l'isomorphie (Das Isomorphieproblem), retint l'attention des mathématiciens jusqu'à la fin des années 1950 :

Peut-on exhiber un algorithme susceptible de prouver que deux groupes donnés,
de cardinal infini dénombrable, sont isomorphes ?

Ce difficile problème relevant de la théorie de la décision (» Turing), élargi aux demi-groupes (monoïdes) par Axel Thue (1914) deviendra le problème des mots (word problem), lequel s'avéra indécidable grâce aux recherches de Novikov (père) en 1955 puis William Boone (mathématicien américain, 1920-1983) deux ans plus tard.

En savoir un peu plus sur le problème des mots : »


    Pour en savoir plus :

  1. Max Dehn, Kurt Godel and the Trans-siberian escape route : http://www.ams.org/notices/200209/fea-dawson.pdf
  2. Max Dehn, Un mathématicien aux préoccupations universelles : http://arxiv.org/PS_cache/math/pdf/0606/0606758v1.pdf
  3. Le point sur le 3ème problème de Hilbert par Pierre Cartier (professeur à l'IHES, séminaire Bourbaki, 1984),
    invariant de Dehn : http://archive.numdam.org/article/SB_1984-1985__27__261_0.pdf
  4. Les principes fondamentaux de la géométrie par David Hilbert : http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k996866
  5. Géométrie non legendrienne de Dehn : page 104 et suivantes du fichier pdf :
    http://archive.numdam.org/article/ASENS_1900_3_17__103_0.pdf
  6. Histoires de problèmes. Histoire des Mathématiques - Ch. 3 : Comment mesurer la pyramide ?
    Commission Inter-I.R.E.M., Éd. Ellipses-1993.
  7. Problèmes de Dehn pour des groupes élémentaires, problème du mot généralisé par Jean-Philippe Préaux, univ Aix-Marseille :
    http://www.i2m.univamu.fr/~preaux/PDF/DEA_3.pdf
  8. Groupes libres et présentation de groupes, par Kathryn Hess Bellwald (École polytechnique de Lausanne :
    http://sma.epfl.ch/~hessbell/topo_alg/PresGrpe.pdf
  9. über Zerlegung von Rechtecken in Rechtecke (Math. Annalen, Göttingen) sur EuDML :
    http://gdz.sub.uni-goettingen.de/dms/load/img/?PID=GDZPPN002259265
  10. Pavages et théorie du potentiel, par Nicolas Boissieur et antoine Lallour :
    https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web
  11. Perfect square dissection, par Eric Weisstein : http://mathworld.wolfram.com/PerfectSquareDissection.html
  12. Pavages carrés sur le site de Gérard Villemin : http://villemin.gerard.free.fr/Pavage/CarrParf.htm

 Bernstein Felix Fatou
© Serge Mehl - www.chronomath.com