![]()
|
Un entier naturel n non nul est dit puissant lorsque, dans sa décomposition en produit de facteurs premiers n = p1α1 × p2α2 × ... × pkαk tous ses facteurs primaires piαi sont au moins de degré 2 : quel que soit i = 1, 2, ...,k, αi ≥ 2. Autrement dit :
n∈N*, n est puissant ⇔ si p est un diviseur premier de n, alors p2 divise n.
➔ Quoique n'entrant pas dans le cadre de la définition ci-dessus (1 n'est pas premier), pour des raisons pratiques, on considère que 1 est puissant.
Par exemple : 4 = 22 , 8
= 23 , 9 = 32 , 16 = 42 , 27 = 33
, 32 = 25, ..., 675 = 52 × 33
, 2916 = 22 × 93,
... sont puissants.
Il en est de même, entre autres consécutifs de 288 et 289, 675 et 676 ou
encore 9800 et 9801.
Par contre : 12 = 3 × 22 , 480 = 3 × 5 × 25 ne sont pas puissants.
∗∗∗
Montrer que n! = 1 × 2 × 3 ×
... × n (factorielle n) n'est
puissant pour aucun n de N.
Les nombres puissants furent étudiés relativement récemment, en particulier par Paul Erdös dans les années 1930, lors de ses travaux en théorie additive des nombres, en lien avec ses recherches d'une preuve du grand théorème de Fermat selon lequel si n est supérieur à 2, il n'existe pas d'entiers x, y et z non nuls pour lesquels xn + yn = zn. Ils furent qualifiés de puissants par le mathématicien américain S. W. Golomb dans un article publié en 1970 dans le journal The American Mathematical Monthly (» réf.1&9) :
i Solomon Wolf Golomb (1932-2016) : mathématicien et ingénieur américain, spécialiste en théorie des nombres et de l'information (théorie du signal, codage, compression de données). Diplômé de l'université d'Harward, sa thèse (1957) s'intitulait Problems in the distibution of the prime numbers. On le connaît également pour ses jeux, variantes du jeu de dames, du jeu d'échecs, de Tétris.
Le cas le plus élémentaire de nombre puissant est celui du carré parfait, à savoir un entier naturel de la forme c2 = c × c comme 1, 4, 9, 16, ... correspondant géométriquement à l'aire d'un carré dont le côté est mesuré par un nombre entier d'unités. à leur sujet, on pourra lire une page intéressante de François Brunault (ENS Lyon) sur le site images des mathématiques du CNRS : » clic...
En désignant par a, b, k et n des entiers naturels au moins égaux à 2 :
Comme déjà dit, tout carré parfait n2 est puissant;
Toute puissance entière nk, k ≥ 2, est puissante. En particulier tout cube n3 est puissant;
Tout produit d'entiers puissants est puissant. En particulier, a2 × b2 = (a × b)2 est puissant;
Tout produit de la forme a2 × b3 est puissant, a ≥ 1, b ≥ 1.
Preuve de 4 : si b = 1, n est un carré, donc puissant; si a = 1, b est un cube donc puissant; si a = b = 1, n = 1, donc puissant par convention. Soit p premier divisant n = a2 × b3, a ≥ 2, b ≥ 2. Si p est premier avec b, il l'est aussi avec b3 car b et b3 ont les mêmes diviseurs premiers. Selon le théorème de Gauss, p divise a2. Les diviseurs premiers de a2 sont ceux de a; p divise donc a et par conséquent p2 divise a2, donc divise n. Raisonnement semblable si p est premier avec a.
On a en fait ce résultat :
Proposition :
Les nombres puissants sont les entiers de la forme a2 ×
b3, a et b entiers, a
≥ 1,
b
≥ 1.
(on peut faire en sorte que b ne contienne aucun facteur carré, ce qui
assure alors l'unicité de l'écriture).
Autrement dit :
Les nombres puissants sont les carrés, les cubes ou le produit d'un carré et d'un cube.
Par
exemple : 43200 = 25 × 1728
= 52 × 123
est puissant, forme
a2 × b3,
mais b = 12 contient le facteur carré 4 :
52 × 123
= 52 × 33 × 43.
Finalement on écrira 43200 = 402 × 33.
Preuve : on vient de montrer que tout entier de la forme n = a2 × b3, a ≥ 1, b ≥ 1, est puissant. Inversement, soit n un nombre puissant au moins égal à 2. Sa décomposition en produit de facteurs premiers est de la forme p1α1 × p2α2 × ... × pkαk avec, par définition, αi ≥ 2.
Si tous les αi sont pairs (αi = 2βi, βi ≥ 1), n est un carré, n = a2, donc puissant;
S'il existe des αi impairs (αi = 2βi + 1, βi ≥ 1), on peut écrire αi = 2(βi - 1) + 3, d'où piαi = pi2(βi - 1) × pi3. En regroupant le produit des exposants pairs, on construit le nombre a2 et en regroupant le produit des cubes (exposant 3), on construit b3.
Le cas d'un cube n = b3 correspond à des αi tous impairs avec βi = 1.
Densité des nombres puissants :
Eu égard à leur expression de la forme a2 × b3, on conçoit que les nombres puissants sont "nombreux". Concernant leur répartition dans l'ensemble des entiers naturels, Solomon Golomb a montré qu'étant donné un entier n, le nombre P(n) d'entiers puissants inférieurs à n s'exprime au moyen de la fonction ζ (zêta) de Riemann, à savoir (» réf.2&9) :
P(n) = ζ(3/2)/ζ(3) × √n ≅ 2,173√n
soit, en densité sur [1,n] :
P(n)/n ≅ (1 + √3)/√n
Tout comme dans le cas des nombres premiers, pour lesquels ce nombre est asymptotiquement π(n) ≅ n/ln(n), les nombres puissants se raréfient pour n "grand" et leur densité asymptotique, limite de leur densité pour n infini, est nulle.
➔ En fait, ces nombres ne sont donc pas si nombreux que ça dans N. Omar Sonebi (» réf.9) nous prouve en quelques lignes ce joli résultat proposé ici en exercice :
Pour tout entier k non nul de N, il existe une suite de k entiers consécutifs non puissants
Une non moins jolie propriété (Golomb, preuve en réf.9) :
La série des inverses des nombres puissants est convergente et sa somme est ζ(2) × ζ(3)/ζ(6)
Remarque : il n'en est pas de même de la somme des inverses des nombres premiers : leur série diverge.
Nombres puissants consécutifs :
Il existe une infinité de paires d'entiers consécutifs puissants comme 8 et 9, 288 et 289, 333 et 334, ...
La preuve de ce résultat est relativement simple; on pourra considérer le sujet du bac S 2018, Métropole, ex. 4 spé. Math
(» réf.8) basé sur l'équation de Pell : x2 - 8y2 = 1 admettant la solution initiale xo = 3, yo = 1 et vérifiant la récurrence :xn = 3xn-1 + 8yn-1 , yn = yoxn-1 + xoyn-1 (» Pell)
Paul Erdös (en 1975) puis le canadien Richard A. Mollin, assisté d'un de ses étudiants P. G. Walsh (université de Calgary, 1986, réf.12) ont conjecturé l'inexistence de triplets de nombres puissants consécutifs. Le problème reste ouvert en juillet 2018.
En la même année 1986, dans un court article, le mathématicien anglais Andrew Granville établit que si cette conjecture s'avère vraie, alors le dernier théorème de Fermat l'est aussi pour une infinité de nombres premiers. On voit ainsi le lien, a priori inattendu, entre nombres premiers et nombres puissants.
En particulier, Granville prouve que :
Si la conjecture d'Erdös-Mollin & Walsh est
vraie (inexistence de triplets consécutifs puissants),
alors il existe une infinité de nombres premiers p tels que p2 ne
divise pas 2p - 2
Nombres premiers de Wieferich : »
i Richard Anthony Mollin
(1947-2014)
: mathématicien canadien spécialiste en théorie des nombres et cryptographie.
Après des études, à l'université Western Ontario, Richard Mollin obtient son
doctorat (1975) à la Queen's university de Kingston (Ontario). Il enseigna
principalement à l'université de Calgary. On pourra consulter un In memoriam
en réf.12. La seconde édition de son Introduction à la
cryptographie est en ligne sur
archive.org.
i Andrew Granville
(1962-)
: mathématicien anglais, professeur à l'université de Montréal (Canada).
Homepage :
https://dms.umontreal.ca/~andrew/expository.php
i Michael Burnet Monagan
(1966-)
: mathématicien canadien, professeur à l'université Simon Fraser (proche
Vancouver, Canada).
Homepage :
https://www.cecm.sfu.ca/~mmonagan/
Nombres premiers jumeaux : »
➔ Remarque :
En termes de théorie additive des nombres, si certains entiers peuvent bien évidemment s'écrire comme somme de deux nombres puissants, on a vu que ce n'est pas toujours le cas (un entier c étant donné, peut-on écrire c = a + b avec a et b puissants ? ). Mais il a été prouvé (1988) qu'au delà d'un certain rang un entier naturel peut s'écrire comme somme de trois nombres puissants (source info. : CRC, Eric Weisstein).
Lien analogique, Joseph Oesterlé et la conjecture ABC : »
Dernier théorème de Fermat et nombres premiers de Wieferich » Dernier (ou grand) théorème de Fermat |
En 1909, le mathématicien allemand Arthur Wieferich publiait dans le journal de Crelle (vol. 136) un article, Zum letzten Fermat'schen theorem , (A propos du dernier théorème de Fermat) qui eut un grand retentissement dans le microcosme de la théorie des nombres :
Théorème (Wieferich) :
Si l'équation en nombres entiers x
p + yp = zp possède une solution non trivialeLe cas p = 2 est trivial, il correspond au théorème de Pythagore en nombres entiers, dont une solution bien connue, parmi une infinité, est (x,y,z) = (3,4,5) : 32 + 42 = 52
➔
Le "petit" théorème de Fermat affirme que si p est un entier premier, alors, pour tout entier a, ap ≡ a [p]. Autrement dit p divise ap - a. Dans le cas du théorème de Wieferich, p ne divise pas a = 2, on peut donc écrire que p et p2 divisent 2p-1 - 1 et ledit théorème peut aussi exprimer que p2 divise 2p-1 - 1 ou, sous forme de congruence : 2p-1 ≡ 1 [p2] :
Si l'équation
xp
+ yp = zp
possède une solution non triviale (x,y,z)
pour p premier autre que 2 ne divisant pas le produit xyz, alors
2p-1
≡ 1 [p2].
i Arthur Josef Wieferich (1884-1954) : Natif de Münster, Arthur Wieferich est un mathématicien allemand qui étudia en l'université de cette ville (1903-1909) où Max Dehn enseignait alors la théorie des nombres. Son intérêt pour l'arithmétique est sans doute dû à cette rencontre mais il se tourne finalement vers l'enseignement primaire et fut instituteur dans plusieurs villes d'Allemagne tout en donnant des cours particuliers. Wieferich se fait brillamment remarquer par la publication de cinq articles (1908-1909) portant sur ses recherches en arithmétique dans la revue Mathematische Annalen (fondée par Rudolf Cebsch et Carl Neumann en 1868) ainsi que dans le journal de Crelle. Il devint alors membre de la très sélecte et renommée Deutsche Mathematiker Vereinigung (Société des mathématiciens allemands) fondée en 1890 par Georg Cantor. Source biogr. : (» réf.14).
On qualifie aujourd'hui de nombre premier de Wieferich, un nombre premier p tel que p
2 divise 2p-1 - 1. Autrement dit :Un nombre premier de Wieferich est une solution en nombre premier de l'équation modulaire 2p-1 - 1 ≡ 0 [p2]
Les nombres de Wieferich sont "rares". En 2018, malgré l'aide considérable des moyens informatiques, on en connaît que deux, à savoir 1093, découvert en 1913 par Waldemar Meissner (en allemand : Meißner) et 3511, découvert en 1922 par Nicolaas Beeger (» réf.5). Selon les spécialistes du sujet, le prochain, s'il existe, est supérieur à 6,7 × 215 (» réf.6). Il a été conjecturé que leur nombre est cependant infini (» réf.7). Cette infinitude serait aussi une conséquence de la preuve de la conjecture ABC (» réf.15)
i Waldemar Meissner (1852-1928) : ingénieur et mathématicien allemand (possible erreur homonymique). Nicolaas George Beeger, mathématicien hollandais (1884-1965).
En 1988, les mathématiciens Andrew Granville et M. B. Morgan généralisaient le résultat de Wieferich en prouvant qu'il restait vrai pour tout entier q premier de l'intervalle J = [2,89] en remplacement de 2 dans la congruence (historique du problème et preuve : » réf.4) :
Si l'équation
xp
+ yp = zp
possède une solution non triviale (x,y,z)
pour p premier autre que 2 ne divisant pas le produit xyz, alors
p2
divise qp - q pour tout q de J
Ce qui leur permit de prouver que le théorème de Fermat était vrai pour p le 714 591 416 091 389...
» Waring
➔
Pour en savoir plus :
Biographie et travaux de Solomon W. Golomb, par E. Berlekamp (univ. of
California) :
http://coding.yonsei.ac.kr/kart-berlekamp.pdf. Voir aussi :
Wikipedia (en).
Powerful numbers, article S. W. Golomb publié par The American
Mathematical Monthly :
https://www.jstor.org/stable/2317020?&seq=1#page_scan_tab_contents
(lecture en ligne libre, si inscrit).
Powerful numbers and Fermat's last theorem, par Andrew Granville
(1986) :
http://www.dms.umontreal.ca/~andrew/PDF/PowerfulFLT.pdf
The first case of Fermat's last theorem is true for all prime
exponents up to 714 591 416 091 389, par A. Granville & M. B.
Monagan (1988) :
https://www.ams.org/journals/tran/1988-306-01/S0002-9947-1988-0927694-5/S0002-9947-1988-0927694-5.pdf.
L'article de Nicolaas Beeger concernant le calcul de
3011, nombre premier de Wieferich, deuxième du nom :
https://archive.org/stream/messengerofmathe5051cambuoft#page/148/mode/2up
A Wieferich prime search up to 6.7 × 1015,
par François Dorais (univ. Michigan) et Dominic Klyve (univ. Washington)
:
https://cs.uwaterloo.ca/journals/JIS/VOL14/Klyve/klyve3.pdf
Une étude fort bien documentée des nombres premiers de Wieferich sur Wikipedia
(avec les réserves habituelles) :
https://wikivividly.com/wiki/Wieferich_prime ou encore :
https://en.wikipedia.org/wiki/Wieferich_prime
a) Nombres puissants au bac S juin 2018 (spécialité Maths, Métropole &
Reunion), par Jérôme Germoni (univ. Lyon 1)
http://images.math.cnrs.fr/Nombres-puissants-au-bac-S.html
b) Dans l'article ci-dessus, l'auteur fait allusion à celui de
Paul Erdös,
Some personal and mathematical reminiscences of Kurt Mahler :
https://users.renyi.hu/~p_erdos/1989-34.pdf
c) Le sujet sur le site de l'APMEP :
https://www.apmep.fr/IMG/pdf/S_Metropole_LA_Reunion_22_juin_2018_DV.pdf
d) Le corrigé :
https://www.apmep.fr/IMG/pdf/Corrige_S_Metropole_juin_2018_FP.pdf
Autour des nombres puissants, par Omar Sonebi
(niveau prépa Maths, MPSI), lycée Al Kawarizmi Safi, Maroc :
http://www.marocprepa.com/site/pdf/2013/article/sonebi_001.pdf
Sur la distribution de nombres spéciaux
consécutifs, par Steve Pettigrew (univ. Laval, Canada), nov. 2000 :
https://www.collectionscanada.gc.ca/obj/s4/f2/dsk2/ftp01/MQ55787.pdf
a)
Nombres puissants sur The on-line encyclopedia of integer sequences
(OEIS) : http://oeis.org/A001694
b) Liste des 10 000 premiers nombres puissants :
https://oeis.org/A007532/b007532.txt
a) Home page Richard Mollin :
http://math.ucalgary.ca/math_unitis/profiles/101-152961
In memoriam :
https://math.ucalgary.ca/news/memoriam-canadian-number-...-richard-mollin
b) On non square powerful numbers, par R. A. Mollin et P.G.
Walsh (03/1985) :
https://www.fq.math.ca/Scanned/25-1/mollin.pdf
c) On powerful numbers par R. A. Mollin et P.G. Walsh
(12/1985) :
https://www.researchgate.net/publication/26534942_On_Powerful_Numbers
On the first case of Fermat's last theorem, par Derrick H. &
Emma Lehmer :
https://projecteuclid.org/download/pdf_1/euclid.bams/1183503473
Arthur Wieferich, éléments biographiques (numbertheory.org/univ Münster)
:
http://www.numbertheory.org/obituaries/OTHERS/wieferich.html
Preuve de l'infinitude des nombres de Wieferich si on
admet la conjecture ABC, par E. Crouseilles & A. Lardeur (univ. Rennes,
2018) :
https://perso.univ-rennes1.fr/bernard.le-stum/bernard.le-stum/Enseignement_files/ABC-CONJECTURE-2.pdf
La
revue Mathematische Annalen est consultable en ligne sur εuDML (https://eudml.org/journal/10142)
ainsi que sur le site de l'université de Göttingen à l'adresse
http://gdz.sub.uni-goettingen.de.
Unsolved problems in number theory, par Richard Guy, Éd. Springer, 2004 : https://books.google.fr/books?id=1AP2CEGxTkgC