ChronoMath, une chronologie des MATHÉMATIQUES
à l'usage des professeurs de mathématiques, des étudiants et des élèves des lycées & collèges

Démarche scientifique, problème ouvert & enseignement   
     
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la démarche scientifique

Un problème ouvert est une conjecture (énoncé avancé comme vrai mais non prouvée) soutenue par une communauté scientifique et non mise en défaut à ce jour. Par exemple :

   La notion de problème ouvert trouve aujourd'hui sa place en pédagogie (comme, depuis les années 1980, à l'IREM de Lyon et de Grenoble). Son objectif est d'initier à la démarche scientifique dans la recherche, par petits groupes, de la solution d'un problème dont l'énoncé est court, formulé en langage ordinaire, compréhensible par tous, sans indications de méthode ou solution, permettant de faire des essais, de conjecturer, et ne devant faire appel, pour sa résolution, qu'à des outils adaptés au niveau et aux savoirs du public concerné. Une telle situation d'apprentissage comprend quatre étapes que l'on peut résumer par :

  1. comprendre / s'approprier l'énoncé;

  2. chercher / essayer ↔ écarter;

  3. conjecturer / tester

  4. prouver / si contradiction, aller en 2.

Exemple (classe de 5e) : on donne 2 points distincts, puis 3, puis 4, puis 5. 

Il n'est pas dit ici que l'on doit limiter l'enseignement des mathématiques qu'à ce type de recherche :

Principalement au collège, les questions doivent, à part égale, être ouvertes (elles ne renferment pas le résultat) et fermées (elles renferment le résultat). Ayant travaillé sur la division en 6è, posons en contrôle le petit exercice suivant :

« 600 photocopies ont coûté 24 euros; combien coûte une seule photocopie ? »

Trop facile : tout le monde est content. On pose la division 600 divisé par 24; chouette, ça tombe juste : une photocopie coûte 25 euros. Aucun ne s'inquiète de ce coût exorbitant alors qu'on a payé, au total, ne l'oublions pas, 24 euros... : en maths, déjà en 6ème, on ne donne pas un sens à un résultat. Rassurons-nous, l'euro n'est pas en cause. Le même problème posé en francs conduisait aux mêmes scores. Un résultat ça se trouve, ça ne s'interprète pas et on passe, content, à l'exercice suivant. Lors de la correction, vexés, déçus, la moitié des élèves de la classe sera dégoûtée des maths...


Les maths, c'est pas la vie : c'est l'avis des élèves... dès la 6ème ! Pourquoi ? La faute à qui, la faute à quoi ? C'est une question récurrente (terme mathématique bien connu) comme on dit maintenant à la télé... Sans doute un excès de géométrie dès l'école primaire : trop d'abstraction, déconnexion avec le réel, trop de définitions d'objets (toute la panoplie des triangles, des quadrilatères,
des parallélépipèdes, ...)  » programme CM1/CM2

Si l'on avait écrit :

On aurait plus de 70% de réussite à cet exercice : les élèves ont divisé 2400 par 600 et trouvé 4 centimes. On l'a compris : dans une division, on divise toujours le plus gros nombre par le plus petit. C'est dire que l'élève est passé sur pilote automatique : il ne donne toujours pas de sens au résultat. S'il se trompe dans les "zéros" en trouvant 400,  il répondra 400 centimes sans sourciller.

   Sans être totalement fermées, les questions permettent à un élève désireux de bien faire de ne pas avoir 0 à ce petit problème. Si l'on veut mieux assurer les scores de réussite, rien n'interdit d'écrire quelque chose comme :

  1. Montre, en posant la division, que  600 ÷ 24 = 25.
    Explique maintenant sans faire la division que 600 ÷ 2400 = 0,25.

  2. Tu es bien d'accord que  2400 ÷ 600 = 4; explique maintenant sans faire la division que 24 ÷ 600= 0,04.

  3. Voici un petit problème : « 600 photocopies ont coûté 24 euros. On veut calculer, en centimes, le prix d'une seule photocopie. »
    Parmi les résultats précédents, lequel conduit à la solution de ce problème ? Justifie ta réponse.


En soulignant en centimes, on tente d'éviter une mauvaise lecture de la consigne. Mais on n'empêchera toutefois pas, l'expérience le prouve,
la question « M'sieur, la réponse, on la donne en centimes ? » ...

Revenons à nos problèmes ouverts :

Il s'agit ainsi d'appliquer le schéma ci-dessous résumant la démarche scientifique selon Claude Bernard, physiologiste et philosophe français, 1813-1878 : 

Il est regrettable que les programmes actuels (et passés, et sans doute à venir), principalement au collège, ne soient pas un peu plus orientés vers ce type de pédagogie. Les savoirs disciplinaires sont introduits sans autre objectif que l'élève doit être capable de... ou, parfois, par acquit de conscience, il est rajouté "en liaison avec les autres disciplines" :

  • Le cosinus en 4ème... 
  • La propriété de Thalès en 4ème... 
  • Les transformations (géométriques) au collège... 
  • Les vecteurs en 3ème... 
  • La réintroduction du PGCD en 3ème... 
  • La pyramide en 4ème et 3ème... sujet ringard ou nécessité pédagogique ?
  • ...

L'ennui est, qu'à ces niveaux, les autres disciplines n'utilisent pas les mathématiques... :

Il se forge ainsi rapidement dans l'esprit des collégiens que les maths, ça sert à rien... Leur usage au collège est très réduit. Il se limite, « dans les autres disciplines », à quelques calculs élémentaires de proportionnalité, quelques graphiques et, en 3ème, en sciences physiques, à  d = vt (mouvement uniforme), P = UI (électricité élémentaire) : encore de la proportionnalité dans une société mercantile où, à part le plein d'essence, on ne la rencontre guère...

Les sciences physiques :

L'enseignement des mathématiques reste purement disciplinaire et encyclopédique :

Les professeurs ayant enseigné dans les années 1970-80 ont en mémoire les ravages de l'enseignement des mathématiques "modernes" au collège et au lycée. Axiomatique pour ne pas dire bourbakiste, cet enseignement qui ne laissait aucune place à l'intuition et à un entendement visuel (pouvant s'exprimer par un dessin) fut étonnamment introduit par Lichnerowicz et sa commission qu'il dirigea de 1967 à 1972 avec la "complicité" de Jean Dieudonné. Étonnamment car Lichnerowicz était aussi (et surtout) un physicien, lequel exprimait vouloir faire des mathématiques en rapport avec le réel, raison pour laquelle il s'intéressa à la physique mathématique.

Depuis 1985, le retour à l'algèbre élémentaire et de la géométrie euclidienne permet à l'élève de mieux appréhender les objets mathématiques. Malheureusement les contenus restent encyclopédiques et décrochés de tout lien avec l'idée que les mathématiques sont l'outil incontournable de toutes les sciences, quoiqu'en pense M. Claude Allègre...

- En 4ème :  on a ajouté, à l'aube du 21è siècle, la propriété de Thalès, comme si celle de Pythagore ne suffisait pas dans le méli-mélo algébro-géométrique déjà présent, alors qu'il sont (les élèves de 4è) :

  • toujours en difficulté dans le calcul fractionnaire élémentaire;

  • majoritairement incapables de résoudre une équation de la forme ax = b lorsque a ou b est fractionnaire;
    »
    lorsque a et b le sont, ils s'en sortent mieux grâce au fameux produit en croix dont 99% au moins n'en comprennent pas la preuve...

  • dans l'impossibilité d'exprimer, par une phrase compréhensible pour tous, l'idée d'une droite se baladant dans un triangle et se prétendant "parallèle à un côté".

  • tout à fait incapables de se souvenir l'année suivante d'un usage, même élémentaire de la fameuse droite des milieux;

  • capables de vous assurer en vous regardant droit dans les yeux que le professeur de l'an passé n'a jamais parlé de translation !

à la décharge des programmes, il faut reconnaître que le non apprentissage quasi systématique des leçons, vu l'abandon général de l'interrogation orale, traumatisante et vexatoire pour l'élève (puisqu'il n'a rien appris) joue un rôle indéniable dans ces lacunes...

Quant à la trigonométrie -tout à fait indésirable en 4ème encore par manque total d'applications à ce niveau- comment justifier la survivance du fameux cosinus, vieux relent de la projection orthogonale, avant celle du sinus (cosinus = sinus associé). De surcroît, cet objet mathématique abstrait se résume chaque année à une désastreuse utilisation de la touche cos, et pire cos-1 ou Acs (fonction réciproque) avec une confusion entre l'angle et sa mesure en l'absence de toute notion de fonction.

- En 3ème :


On explique à ces malheureux enfants que f(x) ne veut pas dire "f  facteur  de  x" : pas le temps de parler de Leibniz ou de Lagrange... et va que je te trouve l'expression de f(x) = ax + b sachant que f de ceci = cela. Dans un contrôle, mettez un g(x) au lieu du f(x), ça c'est méchant.

La grande majorité des élèves sont à une année-lumière de tout ce fatras débridé et inutile. Et comme cela ne suffit parfois pas à les détourner complètement des mathématiques : 


Par contre, en CM2, on a supprimé la division décimale laissant les enfants dans une vision béate d'un monde
où tout est entier et beauté pythagoricienne.
à l'heure de l'euro et des arrondis/conversions, on s'étonne.
Il est vrai que les professeurs des écoles n'ont généralement pas vraiment appliqué cet allégement des programmes...

On fonce à 130 sur un chemin de campagne et au bout, il n'ont rien compris, rien assimilé, détestent les maths, adorent la techno (qui rime avec musique), veulent faire de l'informatique (qui rime avec jeu) tout en étant incapables du moindre raisonnement logique. Mais ils auront le brevet même avec 8/40 à l'épreuve afin de respecter les 80% de réussite académique. Le résultat, c'est que M'sieur, les maths ça sert à rien...

La preuve, au yeux des élèves ?

Chez un bon nombre d'entre eux, on a « la haine des maths ». Elle se transmet dans les lycées et on se plaint officiellement qu'il n'y a plus de scientifiques, ni de candidats au CAPES de maths, etc.

Déjà dans les années 1950, Bertrand Russell, éminent philosophe et mathématicien, remarquait que contrairement aux temps de la Grèce ancienne et  de la Renaissance, faire montre de connaissances mathématiques relève de l'exotisme. Le fort en maths est une bête curieuse, un intello. La culture est littéraire, artistique. On peut y inclure l'histoire, mais pas celle des sciences...


De nos jours, lors d'un jeu télévisé de "culture générale", si vous tombez sur une question musique, ce ne sera pas Bach, Mozart ou Beethoven :
dès la première question, vous allez vous planter sur le dernier titre en vogue du groupe Téléphone et en littérature, ce sera la dernière BD de M
œbius,
alias Jean Giraud (1938-2012), ne pas confondre avec le
mathématicien...

Est-il vraiment nécessaire de faire ingurgiter aux élèves des collèges et des lycées tant de connaissances académiques dont ils n'ont que faire ? Avant d'être des élèves, ils sont des enfants soucieux, aujourd'hui plus que naguère, d'une certaine forme de rentabilité immédiate, d'un pragmatisme de l'apprentissage.

N'est-il pas bien plus formateur pour cette citoyenneté dont on parle tant aujourd'hui de les amener, par le problème ouvert ou par des situations similaires (via l'histoire des sciences tout particulièrement), à se poser des questions, essayer, conjecturer et, par là, à énoncer ou construire eux-mêmes des résultats ou des objets mathématiques (accessibles à leur entendement) où ils se sentiraient (un peu) plus concernés ? Avant de les gaver (expression-élève bien appropriée...), apprenons-leur à apprendre en motivant leur imagination.

   voir aussi... 

Stella Baruk (cf. référence ci-dessous) a bien raison depuis 30 ans. On fabrique des automathes déréglés et on exige des élèves des connaissances académiques excessives et rébarbatives. Dans notre enseignement, les mathématiques sont une fin alors qu'elles devraient être un moyen, un outil. La dessus, on peut être d'accord avec Claude Allègre lorsqu'il ne confond pas mathématiques et programmes de mathématiques...


   Pour en savoir plus :

  1. Problème ouvert et Situation-Problème par Gilbert Arsac, Gilles Germain et Michel Mante (publication de l'IREM de Lyon)
  2. a) Pratiques du problème ouvert, par Gilbert Arsac et Michel Mante (oct. 2007) :
    http://math.univ-lyon1.fr/irem/spip.php?article95
    b) La pratique du problème ouvert, par G. Arsac, G. Germain, M. Mante, D. Pichod, IREM de Lyon, 1984.
  3. Les problèmes ouverts du Rallye Mathématique de l'Académie de Lyon 2011-2020, par Gille Aldon :
    http://math.univ-lyon1.fr/irem/IMG/pdf/PbOuverts-2011-2020-.pdf
  4. La mystification mathématique, Alain Bouvier, 1981, Rééd. 1992. Éd. Hermann
  5. Echec et Maths par Stella Baruk, Ed. Science ouverte, Seuil - Paris, 1973.

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