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Il y a
bien longtemps déjà, l'année
2000 fut déclarée année des mathématiques
par l'Unesco. Mais pas aux P.U.F.(Presses
Universitaires de France). Au
catalogue 2000, la collection
Que
sais-je
réduisait
le volet mathématique et physique mathématique à une peau de chagrin.
Sur
plus de 50 ouvrages mathématiques publiés, il ne reste quasiment
rien ! Les déjà rares 26 numéros restant
encore disponibles en 1997/98 se
réduisaient à 15 en 2005 et à 5 en 2009.
Malgré cela, l'excellence de ces petits livres tant sur le fond que dans la qualité pédagogique, sans jamais verser dans un excès de vulgarisation au détriment de la rigueur, mérite qu'ils soient encore donnés en bibliographie et dans les pages de ChronoMath. Amateurs (amatheurs...), collectionneurs, rendez-vous dans les vide-greniers et chez les bouquinistes !
Il est vrai que M. Claude Allègre -unanimement considéré comme un éminent scientifique, donc ayant forcément raison- l'avait prévu. On pouvait lire dans le journal France-soir, du 29/11/99, cette effroyable et accablante prophétie :
"
(...)
Les
maths sont en train de se dévaluer de manière
quasi inéluctable.
Désormais, il y a des
machines pour faire les calculs
(...) "
De quoi rassurer
les élèves. Ils auront bientôt tous la moyenne...
Rajoutons, pour les géologues allergiques aux maths, qu'il y a aussi des marteaux pour casser les cailloux et des marteaux-pilons pour écraser les mouches et que calcul vient du latin calculus = petite pierre, caillou (de la tablette à calcul). Ce qui nous rapproche : il n'y aura bientôt plus de géologues...
M. Allègre n'en était pas à sa première estocade contre les mathématiques : dans son livre, La défaite de Platon (1995), il lançait une diatribe, où plutôt une fatwa, à l'encontre des mathématiques. Vous en trouverez de nombreuses analyses sur le web en tapant le titre du livre dans un moteur de recherches. Voici un court extrait dans la même veine que ci-dessus :
(...) Va-t-on continuer à recourir aux mathématiques pour calculer ? Depuis l'apparition des calculettes, on n'enseigne plus à extraire une racine carrée, ni à se servir d'une table de logarithmes. Continuera-t-on demain à enseigner les subtilités de la construction des courbes ou le calcul d'intégrales compliquées ? L'ordinateur va nous conduire à reconsidérer les mathématiques comme un auxiliaire des sciences.
Hallucinant
! quand on calcule, on recourt aux maths... si on tape sur une touche
pour obtenir une racine carrée, c'est qu'on a recours aux maths... Si
on cherche la valeur d'un logarithme : même conclusion... Si on a
besoin d'une courbe, c'est que l'on recourt aux maths... et si l'on a
besoin d'un calcul intégral, c'est que, quelque part, on a recours aux
maths...
Quant aux mathématiques elles-mêmes, il y a belle lurette, avant l'apparition des calculettes, qu'elles sont un auxiliaire, voire le vecteur, des sciences. Il suffit de parcourir cette chronologie pour s'en convaincre...
Enfin, si une calculette répond que le sinus d'un angle ou le logarithme d'un nombre est ci ou ça avec 10 décimales exactes (voire 16 ou plus sur un simple ordinateur de bureau), c'est que, pour le lui faire savoir (à la calculette), on a eu besoin d'un bon informaticien programmeur mettant en œuvre le fruit d'une théorie mathématique élaborée et adaptée. Quelle mauvaise foi !
Briggs, Volder et l'algorithme CORDIC : »
J'ai lu aussi dans ce même pamphlet que j'ai eu la faiblesse d'acheter 150 FF à l'époque... :
Le raisonnement déductif logique est présenté comme l'archétype de la
science; la mathématique y est la discipline
emblématique. Cette vision domine tout depuis le XIXè siècle et n'a cessé de se
renforcer avec le temps. Elle a petit à petit installé les mathématiques « pures
» comme moyen de sélection de nos élites, non seulement des élèves des grandes
écoles, mais aussi, de manière plus surprenante, de nos médecins, et, par le
biais des classes C des lycées, de tous nos « élèves » même littéraires !
(...) Plus encore, l'axiomatique a servi de modèle pour exposer les autres
disciplines scientifiques, la physique, mais aussi l'économie et même parfois
les sciences de la Nature (...) La sélection par les « maths pures » éloigne de
la science beaucoup d'esprits intéressés par le concret, le réel, et que les
mathématiques rebutent, surtout dans leur aspect axiomatique.
(...) Recruter les scientifiques avec les maths est aussi baroque que de
recruter des littéraires sur une interrogation de grammaire.
Démagogie ! La sélection par les mathématiques est réelle mais
proportionnelle à l'objectif. Un problème mathématique est un challenge purement
intellectuel, non lié à un système social ou culturel : il est égalitaire,
M. Allègre.
On estime qu'un candidat capable de le résoudre sera en mesure, face à
des situations plus concrètes, sociologiques ou scientifiques, de les examiner
objectivement et de prendre les meilleures décisions : sans parti pris et de
façon raisonnable.
Ce candidat raisonne, il utilise le schéma hypothético-déductif d'Aristote, disciple de Platon. Ce que nous faisons chaque jour comme M. Jourdain faisait de la prose. Il vaut mieux raisonner avec son cerveau (tête pleine) que de résonner comme un tambour (tête vide).
M. Allègre fait montre d'une hargne irraisonnée à l'encontre des mathématiques. La faute à Platon, à Descartes (qu'il fustigea dans le journal Le Monde alléguant que le malheureux s'était trompé sur tout), à Claude Bernard dont la classification des sciences est déclarée stupide car elle met en avant l'importance des mathématiques et le raisonnement déductif qui l'emporte sur le cheminement inductif.
M. Allègre parle d'école platoniciste et de hold-up intellectuel. Curieusement, jusqu'à présent, Aristote, père du raisonnement déductif, fidèle disciple de Platon, est épargné. Il prônait pourtant stupidement le géocentrisme, théorie qui coûta très cher aux hommes (ceux qui affirmaient l'héliocentrisme, comme Galilée) et au progrès de la science.
Il est toutefois indéniable que les programmes de l'enseignement des mathématiques, tout particulièrement au collège, détournent les élèves de leur bon apprentissage et, par là, des mathématiques en général. Mais ce ne sont pas les mathématiques qui sont en cause. Nombreux sont ceux, dont je suis, qui le répètent depuis des années, sans succès.
En guise de réponse complémentaire par un auteur mathématicien dont la bonne foi ne peut être mise en cause et plus écouté que l'auteur de ces lignes attristées, vous pourrez lire, in fine, quelques lignes du regretté Jean-Christophe Yoccoz (1957-2016), mathématicien français, médaille Fields 1994.
Liste des Que sais-je disponibles au catalogue 2009 : |
» Catalogue : http://www.puf.com/wiki/%22Que_sais-je%3F%22_-_Le_savoir_vite
Dans la Lettre de l'Académie, Jean-Christophe Yoccoz écrivait, en substance, sous cette citation : |
"As poet and mathematician, he would reason well ;
as mere mathematician, he could not have reasoned at all …"
Ces mots, qu'Edgar Poe place dans la bouche du Chevalier Dupin (La
lettre volée), semblent indiquer que déjà en 1840 les mathématiciens
souffraient de ce que le jargon publicitaire appelle aujourd'hui un problème
d'image. Poe paraît par ailleurs avoir été fasciné par certains aspects des
mathématiques. Dans le Mystère de Marie Roget on trouve en effet une intuition
fulgurante sur la dynamique chaotique - "very much as, in arithmetic, an
error which, in its own individuality, may be inappreciable, produces, at length,
by dint of multiplication at all points of the process, a result enormously at
variance with truth"- suivie de considérations plutôt oiseuses sur la
loi des grands nombres.
Un exemple significatif de l'accumulation des erreurs d'arrondi : »
Poe reprochait aux mathématiciens, à tort ou à raison, un certain impérialisme
philosophique : "Mathematical axioms are not axioms of general truth"
(La lettre volée). On entendrait plutôt aujourd'hui un autre son de cloches :
nous nous intéresserions à des problèmes trop abstraits, gratuits, disconnectés
de la réalité (...)
Les mathématiques sont le langage de la physique, et c'est le plus
souvent par l'intermédiaire de cette science que dans le passé les idées mathématiques
ont pu contribuer au progrès technologique. J'ai déjà cité l'analyse
fonctionnelle et la mécanique quantique ; on peut aussi penser à la géométrie
riemannienne (relativité générale), à la théorie des groupes (physique des
particules) aux équations aux dérivées partielles (mécanique des fluides,
combustion, propagation des ondes,…). En comparaison, les interactions avec
les sciences du vivant sont jeunes et loin d'être complètement identifiées.
Mais on peut certainement s'attendre à des développements remarquables dans
les décennies à venir, d'autant plus intéressants qu'ils ne sont pas
facilement anticipables, tant les progrès de la biologie sont rapides. D'autre
part, un fait marquant est l'émergence d'applications technologiques directes
des mathématiques, sans transiter par d'autres disciplines scientifiques :
cryptographie, mathématiques financières, … Rita Colwell, microbiologiste et
directeur de la NSF soulignait il y a 2 mois : "I cannot stress too
strongly how vital mathematics is to keeping our R&D enterprise strong.
Nurturing the discipline of mathematics itself is the foundation of this broader
role. We see mathematics as fundamental for progress in science and
engineering." (je remercie notre confrère Haïm Brezis d'avoir porté
ces propos à ma connaissance).
Il est trop fréquent de rencontrer des gens, quelquefois cultivés, qui ignorent jusqu'à l'existence même de recherches en mathématiques à notre époque. Assurément, les mathématiciens ont une part de responsabilité dans cet état de choses, ne se souciant pas autant que biologistes, chimistes ou physiciens de divulguer leur travaux. Ils ont quelques circonstances atténuantes ; leur formation les habitue à être précis et rigoureux, au rebours des approximations et simplifications préalables à l'explication à un large public. Plus important, me semble-t-il, ils n'ont pas réussi à transmettre une représentation même grossière de ce que sont les objets fondamentaux de notre science, les analogues de l'électron du physicien ou de l'ADN du biologiste (...)
Il est de bon ton dans certains milieux d'affirmer avec satisfaction n'avoir jamais rien compris aux mathématiques. Que penserions-nous d'un scientifique qui se flatte d'ignorer Shakespeare, Bach ou Van Gogh ? (...)
Concilier l'utile à l'agréable est évidemment le défi majeur que doit résoudre l'enseignement des mathématiques. Mais si les mathématiques sont trop souvent mal ressenties, c'est sans doute comme instrument de sélection dans les années terminales du lycée et les classes préparatoires. Il est naturel qu'une parmi les filières d'excellence soit à dominante mathématique ; mais il est déplorable que d'autres, tant littéraires que scientifiques, ne puissent également prospérer. La faute en incombe au moins en partie à un système éducatif basé sur des examens massifs et ponctuels, exercice dans lequel il est assurément plus aisé de juger de la valeur d'un candidat en mathématiques (ou en latin…) que dans une science expérimentale.
Les mathématiques se portent bien, et dans le concert mondial, l'école française occupe une place éminente. Les meilleures revues européennes et américaines publient régulièrement des articles en français. La concentration de mathématiciens à Paris, sans doute la première au monde, en fait un terreau extraordinairement fertile et de nombreux pôles d'excellence, certains de fraîche date (Lyon, Toulouse,…) prospèrent hors de la capitale. Il nous appartient de veiller qu'il continue à en être ainsi.
Merci Jean-Christophe !
Les maths aujourd'hui, ça sert à quoi : »