![]() ![]() » ANALYSE au sens logique selon d'Alembert. |
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ANALYSE, (Math.) est proprement la méthode de résoudre les problèmes mathématiques, en les réduisant à des équations. Voyez PROBLÈME & EQUATION. L'analyse, pour résoudre les problèmes, emploie le secours de l'algèbre, ou calcul des grandeurs en général : aussi ces deux mots, analyse, algèbre, sont souvent regardés comme synonymes.
» Curieusement, d'Alembert confirme, dès l'entrée en matière, la confusion entre les deux termes analyse et algèbre alors que, plus loin, il les distingue clairement : ce sera la nouvelle analyse.
L'analyse est l'instrument ou le moyen général par lequel on a fait depuis près de deux siècles dans les Mathématiques de si belles découvertes. Elle fournit les exemples les plus parfaits de la manière dont on doit employer l'art du raisonnement, donne à l'esprit une merveilleuse promptitude pour découvrir des choses inconnues au moyen d'un petit nombre de données et en employant des signes abrégés et faciles pour exprimer les idées, elle présente à l'entendement des choses qui autrement sembleraient être hors de sa sphère. Par ce moyen les démonstrations géométriques peuvent être singulièrement abrégées : une longue suite d'arguments, où l'esprit ne pourrait sans le dernier effort d'attention découvrir la liaison des idées, est convertie en des signes sensibles et les diverses opérations qui y sont requises sont effectuées par la combinaison de ces signes. Mais ce qui est encore plus extraordinaire c'est que, par le moyen de cet art, un grand nombre de vérités sont souvent exprimées par une seule ligne; au lieu que si on suivait la manière ordinaire d'expliquer et de démontrer, ces vérités rempliraient des volumes entiers. Ainsi par la seule étude d'une ligne de calcul, on peut apprendre en peu de temps des sciences entières, qui autrement pourraient à peine être apprises en plusieurs années.
L'analyse est
divisée, par rapport à son objet, en analyse des
quantités finies et analyse des quantités
infinies.
Analyse des quantités finies, est ce que nous appelons autrement Arithmétique spécieuse ou Algèbre. Voyez ALGEBRE.
Analyse des quantités infinies ou des infinis, appelée aussi la nouvelle analyse, est celle qui calcule les rapports des quantités qu'on prend pour infinies, ou infiniment petites. Une de ses principales branches est la méthode des fluxions ou le calcul différentiel. Voyez FLUXION, INFINIMENT PETIT et DIFFERENTIEL.
Le grand avantage des mathématiciens modernes sur les anciens, vient principalement de l'usage qu'ils font de l'analyse. Les anciens auteurs d'analyse sont nommés par Pappus, dans la préface de son septième livre des collections Mathématiques; savoir, Euclide, en ses Data et Porismata (Données et porismes); Apollonius, de Sectione Rationis et dans ses Coniques; Aristaeus, de Locis solidis et Eratosthenes, de Mediis proportionalibus. Mais les anciens auteurs d'analyse étaient très différents des modernes. Voyez ARITHMETIQUE.
L'Algèbre appartient principalement à ceux-ci : on en peut voir l'histoire, avec ses divers auteurs, sous l'article ALGEBRE.
Les principaux auteurs sur l'analyse des infinis, sont :
Wallis, dans son Arithmétique des infinis;
Newton, dans son Analysis per quantitatum series, fluxiones et differentias;
Leibnitz, dans son excellent traité qui a pour titre de quadratura curvarum : Acta Eruditorum,1684;
le marquis de l'Hôpital, en son analyse des infiniment petits, 1696.
Carré, (Louis, 1663-1711, français, physicien et mathématicien, Académie des sciences, 1697) en sa Méthode pour la mesure des surfaces, la dimension des solides etc. par l'application du calcul intégral, 1700;
G. Manfredi, (Gabriel, 1681-1761, italien, professeur d'analyse à Bologne) dans son ouvrage De constructione aequationum differentialium primi gradus, 1707. Nic;
Mercator, dans sa Logarithmotechnia, 1668;
Cheyne (?) , dans sa Methodus fluxionum inversa, 1703;
Craig, (John, ? - 1731, philosophe et mathématicien écossais) Methodus figurarum lineis rectis et curvis comprehensarum quadraturas determinandi, 1685 et De quadraturis figurarum curvilinearum et locis, 1693;
Grégory, dans son Exercitatio geometrica de dimensione figurarum, 1684;
Nieuwentijt, dans ses Considerationes circa analyseos ad quantitates infinite parvas applicatae principia, 1695.
L'analyse démontrée du P. Reyneau de l'Oratoire, imprimée pour la première fois à Paris en 1708, en 2 volumes in-4° est un livre auquel ceux qui veulent étudier cette science ne peuvent se dispenser d'avoir recours.
→ Père Charles René Reyneau (1656-1728), membre de la congrégation de l'Oratoire, professeur de philosophie, il se tourne vers les mathématiques qu'il enseigna à Angers. Il fut membre associé de l'Académie des sciences. Le livre auquel il est fait allusion est sans doute L'Analyse démontrée ou Manière de résoudre les problèmes des mathématiques.
Quoiqu'il s'y soit glissé quelques erreurs, c'est cependant jusqu'à présent l'ouvrage le plus complet que nous ayons sur l'analyse. Il serait à souhaiter que quelque habile géomètre nous donnât sur cette matière un traité encore plus exact et plus étendu à certains égards et moins étendu à d'autres, que celui du P. Reyneau. On pourrait abréger le premier volume, qui contient sur la théorie des équations beaucoup de choses assez inutiles et augmenter ce qui concerne le calcul intégral, en se servant pour cela des différents ouvrages qui en ont été publiés et des morceaux répandus dans les mémoires des Académies des Sciences de Paris, de Berlin, de Londres et de Petersbourg, dans les actes de Leipzig, dans les ouvrages de MM. Bernoulli, Euler, Maclaurin etc. Voyez CALCUL INTEGRAL.
Cet article analyse est destiné au commun des lecteurs et c'est pour cela que nous l'avons fait assez court : on trouvera à l'article ARITHMETIQUE UNIVERSELLE un détail plus approfondi et à l'article APPLICATION, on traitera de celle de l'analyse à la Géométrie. L'article ALGEBRE contient l'histoire de l'analyse.
ANALYSE, s. f. (substantif féminin) ce mot est grec, analusis, formé de ana (en arrière) et de lusis (décomposition, ainsi que luein = résoudre).
→ En fait, d'Alembert traduit en latin : rursum (en arrière) et solvo (je résous).
Il signifie, à proprement parler, la résolution ou le développement d'un tout en ses parties : ainsi on appelle
analyse d'un ouvrage, l'extrait de cet ouvrage, où l'on en développe les parties principales;
analyse d'un raisonnement, l'examen qu'on fait d'un raisonnement en le partageant en plusieurs parties ou propositions, pour en découvrir plus facilement la vérité ou la fausseté.
Elle a cet avantage sur la synthèse, qu'elle n'offre jamais que peu d'idées à la fois et toujours dans la gradation la plus simple. Elle est ennemie des principes vagues et de tout ce qui peut être contraire à l'exactitude et à la précision. Ce n'est point avec le secours des propositions générales qu'elle cherche la vérité, mais toujours par une espèce de calcul c'est-à-dire, en composant et décomposant les notions pour les comparer, de la manière la plus favorable, aux découvertes qu'on a en vue. Ce n'est pas non plus par des définitions qui d'ordinaire ne font que multiplier les disputes, mais c'est en expliquant la génération de chaque idée. Par ce détail, on voit qu'elle est la seule méthode qui puisse donner de l'évidence à nos raisonnements et par conséquent la seule qu'on doive suivre dans la recherche de la vérité et dans la manière même d'en instruire les autres, honneur qu'on fait ordinairement à la synthèse. Il s'agit maintenant de prouver ce que nous avançons.
Tous les philosophes, en général, conviennent qu'il faut dans l'exposition, comme dans la recherche de la vérité, commencer par les idées les plus simples et les plus faciles mais ils ne s'accordent pas sur la notion qu'ils se forment de ces idées simples et faciles. Presque tous les philosophes, à la tête desquels on peut mettre Descartes, donnent ces noms à des idées innées, à des principes généraux et à des notions abstraites qu'ils regardent comme la source de nos connaissances. De ce principe, il s'ensuit nécessairement qu'il faut commencer par définir les choses et regarder les définitions comme des principes propres à en faire découvrir les propriétés. D'autres, en petit nombre, tels que Loke et Bacon, entendent par des idées simples, les premières idées particulières qui nous viennent par sensation et par réflexion : ce sont les matériaux de nos connaissances que nous combinons selon les circonstances pour en former des idées complexes dont l'analyse nous découvre les rapports. Il ne faut pas les confondre avec les notions abstraites ni avec les principes généraux des philosophes; ce sont au contraire celles qui nous viennent immédiatement des sens et à la faveur desquelles nous nous élevons ensuite par degrés à des idées plus simples ou plus composées. Je dis plus composées parce que l'analyse ne consiste pas toujours, comme on se l'imagine communément, à passer du plus composé au plus simple.
(...)
Les géomètres mêmes, qui devraient mieux connaître les avantages de l'analyse que les autres philosophes, donnent souvent la préférence à la synthèse; aussi quand ils sortent de leurs calculs pour entrer dans des recherches d'une nature différente, on ne leur trouve plus la même clarté, la même précision, ni la même étendue d'esprit.
→ Noter ici qu'un géomètre (mathématicien) est encore considéré à cette époque comme un philosophe.
Mais si l'analyse est la méthode qu'on doit suivre dans la recherche de la vérité, elle est aussi la méthode dont on doit se servir pour exposer les découvertes qu'on a faites. N'est-il pas singulier que les philosophes, qui sentent combien l'analyse est utile pour faire de nouvelles découvertes dans la vérité, n'aient pas recours à ce même moyen pour la faire entrer plus facilement dans l'esprit des autres ? Il semble que la meilleure manière d'instruire les hommes, c'est de les conduire par la route qu'on a dû tenir pour s'instruire soi-même. En effet, par ce moyen, on ne paraîtrait pas tant démontrer des vérités déjà découvertes que faire chercher et trouver des nouvelles vérités. On ne convaincrait pas seulement le lecteur, mais encore on l'éclairerait en lui apprenant à faire des découvertes par lui-même, on lui présenterait la vérité sous les jours les plus intéressants. Enfin on le mettrait en état de se rendre raison de toutes ses démarches; il saurait toujours où il est, d'où il vient, où il va : il pourrait donc juger par lui-même de la route que son guide lui tracerait et en prendre une plus sûre toutes les fois qu'il verrait du danger à le suivre.
Mais pour faire ici une explication de l'analyse que je viens de proposer, supposons-nous dans le cas d'acquérir pour la première fois les notions élémentaires des Mathématiques. Comment nous y prendrions-nous ? Nous commencerions, sans doute, par nous faire l'idée de l'unité et, l'ajoutant plusieurs fois à elle-même, nous en formerions des collections que nous fixerions par des lignes; nous répéterions cette opération et par ce moyen nous aurions bientôt sur les nombres autant d'idées complexes que nous souhaiterions d'en avoir. Nous réfléchirions ensuite sur la manière dont elles se sont formées; nous en observerions les progrès et nous apprendrions infailliblement les moyens de les décomposer. Dès lors nous pourrions comparer les plus complexes avec les plus simples et découvrir les propriétés des unes et des autres.
Dans cette méthode les opérations de l'esprit n'auraient pour objet que des idées simples ou des idées complexes que nous aurions formées et dont nous connaîtrions parfaitement les générations : nous ne trouverions donc point d'obstacle à découvrir les premiers rapports des grandeurs. Ceux-là connus, nous verrions plus facilement ceux qui les suivent immédiatement et qui ne manqueraient pas de nous en faire apercevoir d'autres; ainsi après avoir commencé par les plus simples, nous nous élèverions insensiblement aux plus composés et nous nous ferions une suite de connaissances qui dépendraient si fort les unes des autres, qu'on ne pourrait arriver aux plus éloignées que par celles qui les auraient précédées.
Les autres sciences qui sont également à la portée de l'esprit humain n'ont pour principes que des idées simples qui nous viennent par sensation et par réflexion. Pour en acquérir les notions complexes, nous n'avons, comme dans les Mathématiques, d'autres moyens que de réunir les idées simples en différentes collections : il y faut donc suivre le même ordre dans le progrès des idées et apporter la même précaution dans le choix des signes.
En ne raisonnant ainsi que sur des idées simples, ou sur des idées complexes qui seront l'ouvrage de l'esprit, nous aurons deux avantages :
le premier, c'est que connaissant la génération des idées sur lesquelles nous méditerons, nous n'avancerons point que nous ne sachions où nous sommes, comment nous y sommes venus et comment nous pourrions retourner sur nos pas;
le second, c'est que dans chaque matière nous verrons sensiblement quelles sont les bornes de nos connaissances; car nous les trouverons lorsque les sens cesseront de nous fournir des idées et que, par conséquent, l'esprit ne pourra plus former des notions.
Toutes les vérités se bornent aux rapports qui sont entre des idées simples, entre des idées complexes et entre une idée simple et complexe. Par la méthode de l'analyse, on pourra éviter les erreurs où l'on tombe dans la recherche des unes et des autres.
Les idées simples ne peuvent donner lieu à aucune méprise. La cause de nos erreurs vient de ce que nous retranchons d'une idée quelque chose qui lui appartient, parce que nous n'en voyons pas toutes les parties ou de ce que nous lui ajoutons quelque chose qui ne lui appartient pas, parce que notre imagination juge précipitamment qu'elle renferme ce qu'elle ne contient point. Or, nous ne pouvons rien retrancher d'une idée simple, puisque nous n'y distinguons point de parties et nous n'y pouvons rien ajouter tant que nous la considérons comme simple, puisqu'elle perdrait sa simplicité.
Ce n'est que dans l'usage des notions complexes qu'on pourrait se tromper, soit en ajoutant, soit en retranchant quelque chose mal à propos : mais si nous les avons faites avec les précautions que je demande, il suffira, pour éviter les méprises, d'en reprendre la génération car par ce moyen nous y verrons ce qu'elles renferment et rien de plus ni de moins. Cela étant, quelques comparaisons que nous fassions des idées simples et des idées complexes, nous ne leur attribuerons jamais d'autres rapports que ceux qui leur appartiennent.
Les philosophes ne font des raisonnements si obscurs et si confus que parce qu'ils ne soupçonnent pas qu'il y ait des idées qui soient l'ouvrage de l'esprit, ou que s'ils le soupçonnent, ils sont incapables d'en découvrir la génération. Prévenus que les idées sont innées, ou que, telles qu'elles sont, elles ont été bien faites, ils croient n'y devoir rien changer et les prennent telles que le hasard les présente. Comme on ne peut bien analyser que les idées qu'on a soi-même formées avec ordre, leurs analyses, ou plutôt leurs définitions, sont presque toujours défectueuses (et paf!...). Ils étendent ou restreignent mal à propos la signification de leurs termes; ils la changent sans s'en apercevoir, ou même ils rapportent les mots à des notions vagues et à des entités inintelligibles. Il faut donc se faire une nouvelle combinaison d'idées; commencer par les plus simples que les sens transmettent; en former des notions complexes, qui, en se combinant à leur tour, en produiront d'autres et ainsi de suite. Pourvu que nous consacrions des noms distincts à chaque collection, cette méthode ne peut manquer de nous faire éviter l'erreur.
Jean le Rond d'Alembert