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Né
à Francfort (Frankfurt am Mein), Moritz Stern étudia les mathématiques à Heidelberg
et obtint brillamment son doctorat (1829) dirigé par Bernhard Friedrich
Thibaut (1775-1832) à l'université de Göttingen.
Le jury était présidé par l'illustre mathématicien et
astronome Karl Wilhelm
Gauss. Sa thèse portait sur l'approximation des nombres
irrationnels par les fractions continues.
Professeur sans chaire à Göttingen, Riemann et
Eisenstein figurent parmi ses étudiants. Victime
des lois antisémites de la confédération germanique, ce n'est qu'en 1848 qu'il
obtient le statut de professeur. Cependant, en 1859, la
chaire de Gauss, décédé quatre ans plus tôt, lui est
confiée.
On lui doit en particulier une théorie très approfondie sur les fractions continues (Theorie der Kettenbrüche, 1834, » réf.1), une étude de la résolution des équations transcendantes (Über die Auflösung der transcendenten Gleichungen, 1841), des Recherches sur la théorie des résidus quadratiques (» réf.6).
Son nom est aujourd'hui attaché à une catégorie de nombres premiers issue d'une conjecture de Goldbach qu'il invalida en 1854 (Sur une assertion de Goldbach relative aux nombres impairs » réf.2 et ci-après), ainsi qu'à un algorithme permettant une représentation des nombres rationnels sous la forme d'un arbre, dit de Stern-Brocot (1858, » réf.3), dont une suite d'entiers, dite diatomique, définie par une double récurrence, est générée implicitement par cet arbre.
i Achille Brocot : horloger français (1817-1878) qui s'intéressa, indépendamment de Stern (1860?), à l'approximation fractionnaire pour un bon engrènement dans le cadre du calcul des engrenages (meilleur choix du nombre de dents pour un rapport de transmission donné).
Nombres de Stern (ou nombres premiers de Stern) : |
Goldbach a conjecturé que tout entier naturel composé (c'est à dire non premier) impair est la somme d'un nombre premier et du double d'un carré parfait (non nul). Stern, aidé par ses étudiants, teste les nombres impairs jusqu'à 5999 et montre (1854) que 5777 = 53 × 109 et 5993 = 13 × 461 invalident cette conjecture. Aujourd'hui, grâce aux ordinateurs, on sait que si d'autres entiers impairs ne s'écrivent pas sous la forme p + 2k2 avec p premier, ces nombres sont supérieurs à un milliard (109).
Stern s'est intéressé aux nombres premiers n ne pouvant pas se décomposer comme somme d'un nombre premier et du double d'un carré parfait non nul. Autrement dit :
n désignant un nombre premier,
n est un nombre premier de Stern ⇔ ∀ k∈N*, ∀ p premier, n ≠ p + 2k2
On peut également écrire :
n est un nombre premier de Stern ⇔ ∀ k∈N*, n - 2k2 n'est pas un nombre premier
Les nombres de Stern sont rares, on n'en connaît aujourd'hui (septembre 2018) que 8, à savoir :
2 , 3 , 17 , 137 , 227 , 977 , 1187 , 1493
Algorithme de recherche de décomposition n = p + 2k2 : »
Arbre de Stern-Brocot (1858) : |
Il s'agit d'une arborescence de l'ensemble Q+ des nombres rationnels positifs a/b que l'on peut identifier à des couples (a,b) d'entiers naturels. Tout comme l'addition des vecteurs du plan, on définit ici l'addition de deux couples en écrivant (a,b) ⊕ (c,d) = (a + b,c + d). En écriture fractionnaire, cette "addition" conduit à :
! Il ne s'agit donc pas de l'addition usuelle des fractions !
On se donne au départ la fraction nulle 0/1, l'unité 1/1 et, par commodité, la fraction 1/0 correspondant au couple (1,0) permettant d'obtenir tous les nombres rationnels positifs en établissant une symétrie graphique de la façon suivante :
au rang 1 (initialisation), on écrit de gauche à droite les trois écritures fractionnaires 1/1 , 1/1, 1,0.
au rang 2, de gauche à droite, on obtient 1/2 et 2/1 comme sommes respectives (au sens de ⊕) des fractions qui les surmontent.
au rang 3, on obtient 1/3 = 0/1 ⊕ 1/2, 2/3 = 1/2 ⊕ 1/2, 3/2 = 1/1 ⊕ 2/1, 3/1 = 2/1 ⊕ 1/0.
et ainsi de suite, en partant de 0/1 pour chaque rang...
Limité au quatre premiers rangs, cet
algorithme, fort simple, conduit à l'arborescence ci-dessous en remarquant la
symétrie "verticale" d'axe passant par 1/1 échangeant les a/b en b/a :
En suivant les différentes branches de l'arborescence issues de 1/1, on remarque la génération des fractions unitaires à l'extrême gauche, des entiers naturels à l'extrême droite. En poursuivant l'algorithme, on génère en fait tous les nombres rationnels positifs ce qui permet de prouver la dénombrabilité de l'ensemble Q+ : il existe une bijection entre N et Q. Naïvement parlant, il y a autant d'entiers que de nombres rationnels et contrairement à la méthode de Cantor rencontrée pour prouver la dénombrabilité de Q. Montrons cela :
i/ On montrera facilement par un calcul fractionnaire élémentaire qu'une fraction somme (au sens de ⊕) de deux fractions du rang supérieur, s'intercale entre ces dernières :
ii/ On vérifiera facilement la filiation ci-dessous :
iii/ Deux fractions consécutives a/b et c/d de deux rangs n et n+1 vérifient ad - bc = ± 1
Cela se vérifie sur les rangs 1 et 2 et la propriété se propage aux rangs suivants en remarquant que (a + c) × b - (b + d) × a = bc - ad.
4i/ L'algorithme de Stern ne fournit que des fractions irréductibles distinctes.
En effet, selon iii/ on peut appliquer le théorème de Bézout : a et b sont premiers entre eux (ainsi que c et d). La propriété i/ indique que l'arborescence ne contient pas de répétition.
5i/ Tout rationnel positif a/b apparaît (une unique fois) sous sa forme irréductible dans un rang de l'arborescence.
Preuve :
Q+ peut être considéré comme la réunion
des ensembles de fractions Ea = {a/1, a/2, ...} lorsque
l'entier a décrit N. Pour un entier a donné, supposons qu'il existe au
moins un entier b tel que le rationnel a/b de Ea n'apparaisse pas dans l'arborescence.
Notons β la plus petite valeur de b telle qu'il en soit ainsi. Ce minimum
existe puisque Ea est dénombrable (par la bijection a→a/n)
et l'ensemble des valeurs de b, à savoir N, est borné inférieurement.
Par symétrie de l'arbre, on peut se restreindre au cas a < β et, par définition
de cet entier, le rationnel F = a/(β-a) doit faire partie de l'arbre. On peut
alors lui appliquer la filiation établie en ii/ : en particulier F/(F + 1)
doit faire partie de l'arbre. Or F/(F + 1) = a/β : contradiction.
Conclusion :
L'ensemble
des fractions a/b (privé de 0/1), représenté par l'ensemble A des
nœuds de l'arbre de Stern constitue, par construction, un ensemble infini
dénombrable, donc équipotent à N. Les propriétés 4i/ et 5i/ établissent
une bijection (injection de par 4i/, surjection de par 5i/) entre A
et Q+ et, par conséquent, par transitivité, une bijection entre Q+
et N.
Suite diatomique de Stern (1858) : |
Il s'agit de la suite (sn) ayant un lien étroit avec l'arbre de Stern-Brocot, définie par la double récurrence :
On peut aussi l'exprimer par :
» On remarquera que la donnée de so est inutile sous cette forme car n = 0 conduit à so = so (ce qui n'est pas faux) et à so+1 = so + s1, d'où so = 0.
» diatomique n'est pas forgé sur le grec dia = qui sépare et tomos = couper qui signifierait qui coupe en séparant (redondance...) mais sur le grec dis = deux fois, et atomos = qu'on ne peut pas couper (qui a donné atome). On pourrait en déduire alors que diatomique signifie qu'on ne peut pas couper en deux. Tout au contraire, ce qualificatif est utilisé en chimie pour signifier une molécule possédant deux (dis) atomes. Dans notre cas, il s'agit d'une définition distinguant les cas pair et impair.
Les premiers termes calculés s2, s3, ..., s42 sont :
1 , 2 , 1 , 3 , 2 , 3 , 1 , 4 , 3 , 5 , 2 , 5 , 3 , 4 , 1 , 5 , 4 , 7 , 3 , 8 , 5 , 7 , 2 , 7 , 5 , 1 , 6 , 5 , 9 , 4 , 11 , 7 , 10 , 3 ,11 , 8 , 13 , ...
Redessinons un arbre de Stern-Brocot simplifié, mais équivalent au précédent, en le construisant à partir de la fraction 1/1 seule et de la filiation évoquée en ii/ ci-dessus :
On obtient :
et les fractions de l'arborescence ne sont autres que sn/sn+1 (n ≥ 2) :
s2/s3 = 1/2 , s3/s4 = 2/1 , s4/s5 = 1/3 , s5/s6 = 3/2 , ...
Cette suite possède de multiples propriétés arithmétiques. Le lecteur intéressé pourra consulter les références in fine, en particulier l'article de Jean-Paul Delahaye publié dans Pour la Science en octobre 2012 (» réf.4).
➔ Pour en savoir plus :