ChronoMath, une chronologie des MATHÉMATIQUES
à l'usage des professeurs de mathématiques, des étudiants et des élèves des lycées & collèges

Al-KASHI ou Al-KASHANI, Gamshid ibn Messaoud, persan, 1380-1429
     
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Formule d'Al-Kashi | Calcul approché d'une racine n-ème

Al-Kashi, dit Ghyath ad-din (auxiliaire de la foi) est originaire  de Kachan, en Iran, d'où son nom. Il fut astronome à Samarcande (en l'actuel Ouzbékistan). Un des plus grands mathématiciens de l'époque dont on ignore  curieusement la période exacte de sa vie (on ne connaît pas son année de naissance). Selon A. P. Youschkevitch et  J.J. O'Connor & E. F. Robertson (» réf.1 & 2), on peut retenir approximativement 1380.

Dans son principal traité (Maqalat Gamshid, vers 1400), il développe le calcul trigonométrique à l'usage des astronomes, utilisant les nombres sexagésimaux, système de numération en base 60 qu'utilisaient les astronomes (hérité des Babyloniens et de la Grèce antique) mais aussi des fractions décimales (dont les dénominateurs sont des puissances de 10), on lui doit ce terme dans le calcul de π qu'il fit préalablement en base 60 afin d'être mieux compris par ses contemporains héritiers de Ptolémée.

                     

Samarcande, Ouzbekistan, © YvesHanotiau  

Dans sa Clé du calcul (Miftah al Hisab, 1427), Al-Kashi développe le calcul décimal (hisab al-a'shari) positionnel  hérité des Indiens. Il définit le dixième de l'unité, puis les dixièmes du second ordre (centièmes), etc. à l'intention des astronomes, il propose une méthode de conversion d'un nombre de la base 10 à la base 60 et inversement, en précisant dans ce cas une valeur approchée éventuelle car un résultat exact n'est pas assuré.

Système sexagésimal et conversion base 10 ↔ base 60 : »

En base 60, on a 60 chiffres de 0 à 59 (tout comme en base 10, on a 10 chiffres de 0 à 9. En fait, Al-Kashi n'utilisait pas les chiffres du système décimal : de 1 à 59, il utilisa les chiffres joumal (جومل (prononcer joumal), pluriel du mot arabe جملة = somme, car le codage adopté pour ces chiffres était additif comme nous l'apprend A. P. Youschkevitch (» réf.1, p.70-75) :


Source : Adolf P. Youschkevitch, réf.1, p.195, fig.17 - © Éd. VRIN, Paris 1976
 

On imagine que multiplier et diviser était d'une grande complexité et des tables étaient (heureusement) à la disposition des calculateurs. Al-Kashi fut ainsi, avant Stevin en occident, le premier à exprimer l'arithmétique et l'algèbre aux moyen des nombres "indiens" qualifiés souvent aujourd'hui de nombres indo-arabes. S'inspirant de son illustre ancêtre et confrère At-Tusi, il y traite également des racines n-èmes d'un nombre en apportant des formules de calcul approché héritées de ses prédécesseurs. Al-Kashi développe également des calculs du type (x + a)n en usant de ce qu'on appelle aujourd'hui le triangle de Pascal, déjà utilisé par Omar Khayyam au 11è siècle et dont la paternité est sans doute antérieure.

Formule du binôme de Newton : »       » Al-Karaji , As-Samawal

Un calcul remarquable de π !

C'est par la méthode des périmètres qu'Al-Kashi calcula le rapport en base 60, avec 9 positions de la circonférence à son rayon, c'est à dire 2π soit, par conversion qu'il exprime en base 10, l'équivalent de 16 décimales dans un petit Traité sur le cercle (Risala al-Muhitiya, 1424), une excellente approximation alors jamais atteinte :

2π = 6,2831853071795865... , soit : 3,14159265358979...     » notation π

La plus précise connue alors était celle du mathématicien chinois Tsu Chung Chi (vers l'an 450) qui, par la méthode des périmètres, avait obtenu l'encadrement :

3,1415926 < π < 3,1415927

 !   A cette époque, π n'est pas encore le statut de nombre. Il n'est que le rapport de la circonférence au diamètre du cercle comme l'avait étudié Archimède. La première apparition du symbole π semble être due à Oughtred en 1657

» Shanks            Calcul de 100 (ou plus) décimales de π : »
 
Théorème (ou formule) d'Al-Kashi pour la résolution de triangles :

Relative à un triangle ABC de côtés AB = c, BC = a, CA = b, on doit à Al-Kashi la généralisation du théorème de Pythagore et s'exprimant depuis Viète sous la forme :

a2 = b2 + c2 - 2bc.cosÂ

Si l'angle ^A est droit on retrouve la formule de Pythagore a2 = b2 + c2. Ce résultat est parfois appelé théorème de Pythagore généralisé ou encore règle du cosinus. On le prouvera facilement par usage des formules trigonométriques dans le triangle rectangle :

Supposant ABC non rectangle, on distinguera deux cas suivant que l'un des angles, ici l'angle Â, est aigu ou obtus, tout en faisant usage de la hauteur (CH). Trop facile...

 

Si vous séchez après avoir bien cherché : »            Formule des sinus : »

Sous une forme purement géométrique, ce résultat attribué à Al-Kashi de par sa démarche trigonométrique, fait cependant l'objet des propositions 12 (cas obtus) et 13 (cas  aigu : triangle acutangle) du livre II des Eléments d'Euclide et, selon Adolf P. Youschkevitch (» réf.1), Al-Biruni (973-1048), astronome réputé l'aurait utilisé 400 ans auparavant sans y attacher d'importance.

Proposition 13 du livre II des Éléments d'Euclide : »

 Résolution de triangles :    

Ce très important résultat, allié à ^A + ^B + ^C = 180° et à la formule des sinus a/sin^A = b/sin^B = c/sin^C dont les astronomes font grand usage en mécanique céleste, permet de résoudre un triangle : c'est à dire calculer la mesure de ses côtés et de ses angles. En vertu des « cas d'égalité des triangles », trois données compatibles suffisent généralement mais certains cas peuvent conduire à une indétermination (non unicité).

Résolution d'un triangle et programme JavaScript : »


1. Dans un triangle ABC, on a ^A = 45°, AB = 4√2 et AC = 6. Calculer BC ainsi que les angles ^B et ^C à 0,1° près.

Rép : l'application de la formule d'Al-Kashi fournit a2 = BC2 = b2 + c2 - 2bc.cos^A = 36 + 32 - 48√2cos45° = 20; d'où BC = 2√5.
On peut maintenant écrire  b2 = a2 + c2 - 2ac.cos^B, soit 36 = 32 + 20 - 16√10.cos^B, d'où cos^B = 1/√10 et ^B = 71,6°
à 0,1 près. Enfin ^C = 180° - ^A - ^B, soit 
^C = 63,4° (à 0,1 près).

2. Existe-t-il un triangle ABC, tel que ^A = 60°, AB = 7 et BC = 6.

 Rép : l'application de la formule des sinus fournit BC/sin^A = AB/sin^C, soit :  6/sin60° = 7/sin^C. Ce qui conduit à sin^C > 1 : pas de solution.
Au moyen de la formule d'Al-Khashi, on chercherait à calculer x = AC. On aurait 36 = 49 + x2 -7x (car cos^A = 1/2), soit : x2 -7x + 13 = 0,
équation du second degré dont le discriminant est négatif :
pas de solution.

3.  Ci-dessous, on peut admirer un beau cerf-volant. Observer le codage et montrer que le cosinus de l'angle aigu est tout simplement 3/5.
En déduire son sinus et sa tangente.
Indic : utiliser le théorème d'Al-Kashi de 2 façons pour un même segment..

4.  Résolution de triangles : #1 , #2 , #3        5. croisement aérien       6. Système bielle-manivelle (TerS)

Un autre résultat géométrique d'Al-Kashi :

Dans un triangle ABC, avec les notations usuelles et ^A désignant l'angle A, la formule : 

(a + b + c) × r = bc.sin^A = ac.sin^B = ab.sin^C

exprime le rayon du cercle inscrit en fonction des côtés d'un triangle et de l'angle défini par ces côtés, ainsi que l'aire S du triangle sous la forme (a + b + c) × r /2, soit

S = ½bc.sin^A

 i   Cependant, selon A. P. Youschkevitch, Al-Kashi ne fait pas explicitement allusion à cette formule de l'aire du triangle; ce serait Snell qui l'aurait utilisée pour la première fois dans ses calculs de triangulation. S = ½bc.sin^A se calcule de façon évidente à partir de la formule élémentaire S = ½bh. Rappelons aussi la formule intéressante abc = 4RS, où R désigne cette fois le rayon du cercle circonscrit, que l'on déduit facilement de la formule des sinus ci-après.

A partir des formules S = ½bc.sin^A et a2 = b2 + c2 - 2bc.cos^A, on peut établir la formule, dite de Héron d'Alexandrie :

donnant l'aire d'un triangle en fonction des seuls côtés : de la seconde formule, on exprime cos^A en fonction de a, b et c. On élève au carré et on on exprime alors sin2^A = 1 - cos2^A :

On remarque que chaque parenthèse contient une identité remarquable. En posant, traditionnellement, p = ½(a + b + c), demi-périmètre du triangle, on est conduit à :

Or, l'aire S du triangle est ½bc.sin^A. Ce qui établit la formule cherchée.

Formule des sinus :

La formule ci-dessus appliquée aux angles ^B et ^C, conduit à la  formule des sinus laquelle fut établie par Abu l'Rayhan Biruni près de quatre siècles auparavant :

où ces trois rapports sont égaux au diamètre 2R du cercle circonscrit.

 
Preuve élémentaire de cette formule (niveau 3è)
 | exemples d'application

Valeur approchée d'une racine n-ème :

Dans la Clé du Calcul, Al-Kashi reprend et complète le calcul de la valeur approchée d'une racine n-ème d'un entier naturel étudié 150 ans auparavant (1265) par le renommé mathématicien persan Nasir-ad-din At-Tusi :

   où x est le plus grand entier tel que xn ≤ N  (rcn)

L'entier x est donc la partie entière de la racine n-ème de l'entier N. Afin de faciliter les calculs du dénominateur, Al-Kashi établit le triangle arithmétique (attribué indûment à Pascal...), tableau des coefficients du binôme (a + b)n, connu en Chine et dans le monde arabe depuis le 11è siècle, tout en précisant la formule de récurrence.

Dans le cas d'une racine carrée (n = 2), on a (x + 1)2 - x2 = 2x + 1, d'où la formule :

Une calculatrice scientifique fournit 43,0268 pour cette racine cubique. Pas mal...

La formule d'approximation énoncée (rcn) peut s'établir par interpolation linéaire. Posons :

y = f(x) = xn et y1 = f(x1) = f(x + 1)n

Connaissant x, racine n-ème de y et x1, racine n-ème de y1, on cherche à évaluer la racine n-ème du nombre N, lorsque y ≤ N ≤ y1. Pour ce faire, notons x + α = xα∈]x,x1[ cette racine. On remplace l'arc de courbe de la fonction f sur [x,x1] par le segment [MM1]. La formule d'interpolation linéaire fournit le nombre :

comme approximation de N = f(xα). En remplaçant xα et x1 par leurs valeurs respectives x + α et x + 1, il vient que N a pour approximation xn + α[xn+1 - xn]. Autrement dit :

et, par conséquent :

est l'approximation cherchée de la racine n-ème de N.

   L'observation graphique montre que les courbes représentatives des fonctions puissances x→ xn apparaissent d'autant plus linéaires que x et n sont grands. C'est dire que les approximations seront moins grossières dans ce cas. Elles sont représentées à gauche pour n = 2, 3, 4, 5 et 7.

Cette remarque permet d'améliorer le calcul approché d'une racine n-ème lorsque N est "petit" au moyen de la formule qu'aurait, proposée Al-Kashi, toujours selon A. P. Youschkevitch (» réf.1) :

 Autres travaux arithmétiques :

Al-Kashi exprime dans le Maqalat de nombreux problèmes ouverts (non résolus) comme :


    Pour en savoir plus :

  1. Les mathématiques arabes du 8è au 15e siècle, Adolf P. Youschkevitch, Ed. Vrin - CNRS - Paris, 1976.
  2. L'algèbre arabe : Genèse d'un art, Ahmed Djebbar, Éd. Vuibert, - Paris, 2005.
  3. Mathématiques et mathématiciens, par Pierre Dedron et Jean Itard, Éd. Magnard - Paris - 1959.
  4. Histoire de la numération arabo-indienne par Mohamed El Mahdi Abdeljouad (colloque EMF 2006) :
    http://emf.unige.ch/files/3214/5389/0026/EMF2006_GT3_Abdelajaouad.pdf
  5. Les origines persanes de l'arithmétique, par Ali Mazaheri (historien des sciences, 1914-1991), étude reposant en partie sur les
    travaux arithmétiques du mathématicien Abu al-Hassan Kushiyar (971-1029) :
    https://www.persee.fr/docAsPDF/epide_0768-5289_1975_edc_8_1_978.pdf
  6. Convertisseur d'une base à une autre (appli en ligne) :
    https://www.123calculus.com/conversion-base-n-page-1-11-180.html

Oresme  Mahdava de Sangamagrama
© Serge Mehl - www.chronomath.com